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Justice pénale internationale
16 April 2019

La concurrence du juge international

Reprenant la préoccupation d’Antonio Cassese en 2002, qui s’interrogeait sur la nature insurmontable du conflit entre la souveraineté des États et la justice pénale internationale, Paola Gaeta, professeure de droit international à l'Institut, constate dans sa contribution à La souveraineté pénale de l’État au XXIe siècle (Pedone, 2018) que, malgré les progrès de la justice pénale internationale, les États conservent encore un contrôle ferme sur leur souveraineté en matière de répression des crimes internationaux, parfois au détriment de l’exercice de la juridiction concurrente du juge pénal international. Précisions.

Quel est l'objectif de ce chapitre?

Il a pour objectif de réfléchir à l’expansion du projet de justice pénale internationale – qui a culminé avec la création de la Cour pénale internationale en 1998 –, étant donné ses résultats plutôt maigres en comparaison avec l’ampleur des atrocités perpétrées dans de nombreuses régions du globe. Il montre notamment qu’en dépit de l’espoir, suscité par la création de la Cour, d’une justice pénale internationale moins encline à servir les intérêts politiques de certains États, le risque d’utiliser la justice pénale internationale à des fins «partiales» ou «politiques» n’a toujours pas disparu.

Quel message voulez-vous alors faire passer?

Il s’agit principalement de mettre en garde contre un soutien irréfléchi au projet de justice pénale internationale. Ce projet ne peut aboutir sans de profondes transformations de l’ordre juridique actuel, qui repose encore largement sur l’égalité souveraine des États, mais aussi sur des grandes inégalités politiques, militaires ou économiques entre eux. Ce n’est qu’en s’engageant dans une réflexion sérieuse et non idéologique sur les failles du système actuel de justice pénale internationale que l’on parviendra à rapprocher le projet du but qui le sous-tend, à savoir la justice universelle et égalitaire.

Doit-on envisager avec optimisme l’avenir de la justice internationale alors que les démocraties autoritaires fleurissent dans le monde?

Oui, il le faut. Il faut se souvenir que les transformations profondes dont je viens de parler ne peuvent se réaliser en une seule vie. Il y a 30 ou 40 ans, la création de la Cour pénale internationale était impensable pour beaucoup; or elle s’est bien produite. De même, il était impensable d’engager des poursuites pénales pour atrocités contre des chefs d’État ou de gouvernement, anciens ou en fonction ; or il y a bien eu des procès contre certains d’entre eux. Les réalisations du projet de justice pénale internationale sont immenses si l’on songe à la situation qui prévalait jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ces transformations demandent du temps. Tout comme les changements dus au mouvement des plaques tectoniques, elles peuvent se produire lentement, échappant à l’œil nu, puis soudain se manifester par des tremblements de terre avant de reprendre leur cours imperceptible.

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Référence complète du chapitre:
Gaeta, Paola. «La concurrence du juge international.» In La souveraineté pénale de l’État au XXIe siècle, dir. M. Ubéda-Saillard, 147-160. Paris: Pedone, 2018.

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Entretien par Marc Galvin, Bureau de la recherche.
Illustration de everything possible/Shutterstock.com.