La recherche soutenue par des fonds publics devrait être autant que possible accessible au public, et ce en toute gratuité. Cette idée s’impose à grande vitesse à l’échelle européenne et suisse, malgré la méfiance des scientifiques et la résistance des grands éditeurs. Qu’en est-il à l’Institut ?
L’histoire retiendra que c’est sous la présidence néerlandaise de l’Union européenne que le mouvement de l’accès libre et gratuit à la littérature scientifique aura enregistré l’une de ses plus spectaculaires avancées en Europe. Une réunion organisée en avril 2016 avec les acteurs de la filière, intitulée «Science ouverte – De la vision à l’action», a en effet débouché sur le «Plan d’action d’Amsterdam sur l’innovation en matière de science ouverte», dont l’ambition est de rendre accessibles gratuitement, d’ici 2020, tous les articles publiés dans l’Union.
Ce plan d’action est-il viable? Beaucoup en doutent, sachant qu’à ce jour, moins d’un quart des documents publiés sont en accès libre et que peu de scientifiques se soucient de savoir si leurs articles le sont ou le seront un jour, préférant publier dans des revues qu’ils connaissent ou celles dont les facteurs d’impact sont élevés. Après tout, pourquoi prendre le risque de publier selon les règles d’un modèle alternatif aux bénéfices incertains?
Selon les auteurs de «The Academic, Economic and Societal Impacts of Open Access: An Evidence-Based Review», si les pièges sont nombreux, les avantages semblent l’être tout autant, à commencer par davantage de citations pour les chercheurs qui publient en libre accès et une diffusion plus large des travaux hors du monde académique. À une époque où les initiatives liées à l’idée d’une science citoyenne se multiplient, où le rôle éthique de la science est débattu, tout comme celui de l’édition, l’esprit du libre accès, en permettant le partage et la réutilisation sans restriction et à long terme des connaissances, a le vent en poupe.
Les chercheurs et les enseignants connaissent bien les deux options proposées par le libre accès: d’un côté, la voie dorée (la golden road), dans laquelle les auteurs paient les éditeurs pour que ceux-ci rendent leurs documents disponibles gratuitement; de l’autre, la voie verte (la green road), celle que beaucoup préfèrent, dans laquelle les auteurs déposent une copie de chaque article publié dans un serveur public ou institutionnel.
Qu’en est-il de la Suisse?
Le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) a décidé de soutenir ce mouvement en signant en 2006 Open Access 2020, une initiative internationale émanant des acteurs de la recherche et placée sous l’égide de la Déclaration de Berlin de 2003 sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, sciences de la vie, sciences humaines et sociales. Déjà signée par une cinquantaine d’organisations de recherche, OA2020 entend transformer le système de publication scientifique. Elle réclame à cette fin l’instauration à grande échelle d’un système d’articles scientifiques ouvert et en ligne ainsi qu’une utilisation et une réutilisation illimitées de ceux-ci. Autrement dit, le modèle commercial dominant des articles scientifiques publiés a fait long feu. Et il faut en inventer un autre.
Partisan d’un accès ouvert, gratuit et mondial au savoir scientifique, le FNS engage les bénéficiaires de subsides à rendre accessible gratuitement et mondialement la recherche encouragée par des fonds publics, comme le précise sa réglementation sur le libre accès. Cette position a conduit la communauté des éditeurs académiques suisses à lancer en 2014 une pétition intitulée «FNS: l’édition académique en danger!». Ces derniers craignaient de voir disparaître les rentes historiques du jour où le FNS conditionnerait les subsides aux seules publications numériques. Mais le fameux consensus suisse a fonctionné: des réunions ont eu lieu et un accord a été trouvé.
Le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation a chargé le FNS de soutenir le développement d’une stratégie nationale pour le libre accès, basée sur les expériences et stratégies des institutions académiques suisses, avec l’aide de swissuniversities. Un rapport sera publié cette année. De plus, le FNS et le programme CUS 2013-2016 «Information scientifique: accès, traitement et sauvegarde» de la Conférence universitaire suisse (CUS P-2) ont commandé une analyse externe des flux financiers dans le domaine des publications scientifiques, avec des modèles possibles pour la transformation du système vers le libre accès. Les premiers résultats sont attendus pour la fin de 2016.
Quoi qu’il en soit, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui ont un rôle important à jouer dans cette transformation en adoptant des formes de publication alternatives. Mais les universités et les instituts de recherche peuvent aussi choisir l’option de l’«encouragement par l’obligation».
Les exemples contraignants se mettent en place
Au niveau national, pour commencer, le gouvernement des Pays-Bas a par exemple décidé de rendre disponible l’ensemble de la production de sa recherche d’ici 2024. Pour ce faire, la NWO – l’homologue néerlandaise du FNS –, qui a rejoint le mouvement, a rendu obligatoire la mise en accès libre des documents issus des projets de recherche qu’elle finance depuis le 1er décembre 2015, avec une préférence pour la golden road. Parallèlement, le gouvernement a entamé des négociations avec les grands éditeurs qui gèrent les abonnements aux revues. Le pari du gouvernement est qu’à terme les revues basées sur la voie dorée supplanteront celles dont l’économie repose sur la souscription.
Au niveau local, des exemples existent aussi. Certaines universités, dont le Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis et l’Université de Liège, mais aussi l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ou l’Université de Genève, obligent leurs professeurs et chercheurs à déposer une copie de leurs articles dans des serveurs institutionnels. A Liège, la contrainte est forte: pas de dépôt, pas de prise en compte de l’article dans l’évaluation de son auteur.
Pour autant, l’option du serveur institutionnel comporte l’inconvénient des embargos (ou barrières mobiles) qui peuvent être exigés dans les contrats des auteurs. Il faut attendre six mois, voire plusieurs années, pour que l’article soit officiellement en accès libre. Une solution intermédiaire pour contourner ces embargos est celle de la prépublication (preprint): les scientifiques sont encouragés à déposer la version de leur texte soumise à la «révision», ou encore leur manuscrit dès que paraît sa version imprimée. Comme la prépublication ne comprend pas les modifications, parfois importantes, réalisées à la demande de la revue, elle est un choix risqué, mais néanmoins très commun dans certaines disciplines comme l’économie.
Et l’Institut dans tout cela?
Plus de 9500 publications des professeurs, chercheurs et étudiants de l’Institut sont référencées sur le serveur institutionnel et 35% d’entre elles y sont en accès intégral. «La grande majorité de ces publications ne sont pas en accès libre en raison du droit d’auteur», précise Yves Corpataux, responsable de la bibliothèque de l’Institut. Et d’ajouter: «À ce jour, le serveur institutionnel ne contient pas suffisamment de prépublications et postpublications de nos professeurs.» Pourtant, la plupart des éditeurs offrent à leurs auteurs la possibilité d’un tel dépôt, sous certaines conditions. Il existe d’ailleurs une base de données, Sherpa/Romeo, qui permet de connaître les politiques d’archivage et de libre accès des principaux éditeurs.
Chaque année, les bibliothèques scientifiques font face à une augmentation injustifiée des licences d’environ 5%. Cette situation est de plus en plus difficile à supporter, même pour les universités riches, aussi bien du point de vue éthique qu’économique. Elle renforce en outre les inégalités entre les pays du Nord et du Sud, entre les grands pôles universitaires et les universités périphériques. Du coup, pour Yves Corpataux, «la bibliothèque de l’Institut défend évidemment le mouvement de l’accès libre, mais la complexité des enjeux – financiers, académiques et éditoriaux – est telle qu’il est indispensable que les universités agissent de concert, que ce soit au niveau national ou international.»
Dans les années à venir, l’Institut ne fera pas l’économie d’une réflexion sur la nécessité, ou pas, de développer une politique globale du libre accès.
- Voir le dossier du FNS sur le libre accès.
Références citées:
– FNS, «Aperçu de la réglementation du FNS relative au libre accès», version du 6 mai 2014.
– Tennant, Jonathan P., François Waldner, Damien C. Jacques et al., «The Academic, Economic and Societal Impacts of Open Access: An Evidence-Based Review» [version 1; referees: 2 approved], F1000Research, vol. 5., no. 632, 2016. doi:10.12688/f1000research.8460.1.
– Union européenne, «Plan d’action d’Amsterdam sur l’innovation en matière de science ouverte», communiqué de presse, 6 avril 2016.