Par Charles Wyplosz, professeur d'économie internationale.
Le premier ministre britannique, David Cameron, s’est formellement engagé à organiser, avant la fin de 2017, un référendum sur les relations entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne. La date et la question posée restent à définir, et ce n’est pas sans importance, loin de là. Mais la perspective d’un Brexit, le départ de la Grande-Bretagne, est désormais palpable. Déjà on évoque un arrangement inspiré par l’expérience suisse.
Sur le plan tactique, l’approche de Cameron semble brillante. Son parti et l’opinion publique britannique sont profondément divisés sur la question des relations entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne. En promettant un référendum, il a expurgé la campagne électorale d’un thème qui pouvait provoquer sa défaite. Pari gagné! Cette annonce est aussi destinée à exercer une pression forte sur les partenaires européens: soit ils accordent à la Grande-Bretagne des concessions tangibles, soit elle quitte l’Union. Ce dernier pari est loin d’être gagné.
Les griefs de la Grande-Bretagne sont bien connus, depuis longtemps. Elle voudrait plus de libéralisation des échanges commerciaux, aussi bien au sein de l’Europe que vis-à-vis du reste du monde. Elle ne souhaite pas une intégration institutionnelle et politique. Elle aimerait pouvoir refuser des décisions qui risquent d’affecter la place financière de Londres. Elle tient à garder son marché du travail flexible et à ne pas être obligée de fournir des aides sociales aux immigrants venus du reste de l’Union européenne. Enfin, elle voudrait que son parlement, source ultime de la légitimité démocratique dans la tradition britannique, ait son mot à dire dans la production des lois. Ces préférences ne paraîtront pas insolites en Suisse, mais elles vont à contre-courant des idées en vogue à Bruxelles, Berlin ou Paris, entre autres, où l’objectif d’une «union toujours plus étroite» inscrit dans le traité fondateur de Rome est considéré comme intouchable.
Pire même, nombre de ces demandes requièrent une modification des traités européens, autrement dit un nouveau traité. Même si les autres pays étaient prêts à donner satisfaction à la Grande-Bretagne, il faudrait des années pour négocier un nouveau traité, qui devrait ensuite être ratifié par tous les pays membres, parfois par voie de référendum. Impossible d’ici à 2017. Une solution serait une promesse d’un nouveau traité, mais des promesses vagues risquent de ne pas suffire. Et, surtout, les autres pays membres ne sont pas d’accord sur ces demandes. Ils préféreront perdre la Grande-Bretagne plutôt que de changer leurs visions de l’intégration européenne.
Tout cela signifie que les négociations à venir ne pourront porter que sur une partie limitée des demandes britanniques et qu’elles ne devront pas nécessiter de nouveau traité.
David Cameron n’est donc pas dans la position de force qu’il pensait établir. Il va devoir obtenir des concessions limitées qu’il pourra ensuite présenter comme de grandes victoires. Il lui faudra aussi définir quelle question il posera à ses concitoyens. Un vote négatif impliquera-t-il alors un Brexit obligatoire? Ou bien élaborera-t-il une alternative pour offrir un choix aux électeurs? C’est ici qu’arrive l’exemple suisse d’un accord bilatéral qui inclurait ce que la Grande-Bretagne souhaite garder et un minimum de contraintes déplaisantes.
C’est là un autre volet potentiel des négociations à venir. L’expérience suisse n’est pas encourageante. Les Européens ne sont pas plus satisfaits de la situation que les Suisses. Ils manqueront d’enthousiasme pour créer une situation semblable. Ils voudront que les Britanniques reprennent automatiquement les accords européens, précisément ce que Cameron ne veut pas. Il faudrait définir des domaines qui restent uniquement une prérogative britannique. Un tel accord créerait un précédent bien utile pour la Suisse, et c’est une raison pour laquelle les Européens seront très réticents à s’aventurer sur ce terrain. De plus, un tel précédent pourrait tenter d’autres pays, tels que la Suède ou la République tchèque, qui partagent bien des réticences britanniques.
On ne voit pas ce qui pourrait satisfaire à la fois l’Union européenne et la Grande-Bretagne. Le Brexit peut apparaître comme inévitable, mais il ne résoudrait rien car alors il faudrait bien trouver un modus vivendi entre l’Europe et un grand pays qui, pour être une île, a toujours joué un rôle majeur sur le continent. Le choix de Cameron est donc limité soit à se satisfaire d’aménagements mineurs, soit à reprendre le modèle d’association suisse.
Cet article a été publié dans Le Temps du 21 mai 2015.