Né au sein d’une vieille famille genevoise, Laurent Monnier était diplômé de l’Institut. Entré en octobre 1962 à l’Université de Kinshasa, il y avait présenté sa thèse de doctorat sur les mouvements politiques du Bas Congo et travaillé comme chercheur puis comme professeur de sciences politiques jusqu’en 1972. Il était alors revenu en Suisse comme professeur à l’Université de Lausanne, puis à l’Institut en 1988 où il était responsable de l’enseignement des sciences politiques. Il avait consacré l’essentiel de ses recherches à l’Afrique et avait notamment été collaborateur de la revue « Genève Afrique ».
J’ai connu Laurent depuis son arrivée au Congo et nous sommes restés étroitement liés depuis lors. Je voudrais expliquer pourquoi le témoignage que nous laisse Laurent est réellement exceptionnel : il se situe conjointement au niveau professionnel et personnel.
Trop modeste et trop intelligent pour se prendre au sérieux, Laurent ne s’est jamais intéressé aux honneurs académiques, encore moins médiatiques, et ses interventions publiques sont toujours restées discrètes. Mais l’ensemble de son expérience nous suggère à tous une orientation profondément originale de la recherche et de l’enseignement en sciences sociales. Il lisait beaucoup, mais il se méfiait des théories. Pour lui, les sciences sociales devaient s’appuyer en priorité sur ce que leur nom indique : sur la société des hommes, sur les relations entre les gens, sur leurs expériences, leur comportements, leur manière de sentir. La recherche et l’enseignement étaient pour lui, avant tout, un dialogue : à l’opposé de tout ethnocentrisme, il écoutait, il voulait comprendre la position des autres, il insistait pour que l’avis de tous - surtout celui des plus faibles ou des plus modestes - soit toujours écouté avec attention. Il recevait ses étudiants chez lui comme sa propre famille. Il n’imposait rien, il était ouvert à toutes les opinions, il demandait à chacun de témoigner librement ce qui était au fond de lui-même.
Ces choix professionnels, c’était l’expression même de sa personnalité. Il était certainement la personne la plus désintéressée que j’ai jamais rencontrée, et était étranger à toute recherche de pouvoir. Il avait une intelligence intuitive, très fine, une immense culture (il lisait passionnément les romans écrits dans les pays qu’il étudiait, par exemple) et une grande ouverture d’esprit aux autres. Dans ses relations personnelles, il était une source extraordinaire de bonté, de convivialité, d’humour et de joie de vivre, malgré les épreuves qu’il a traversées.
Nous avons perdu un esprit lucide et une personnalité d’exception. Mais, comme l’a dit sa fille lors de la cérémonie d’adieu, il restera présent pour tous ceux qui l’ont bien connu, avec son amitié chaleureuse, et avec la richesse des orientations de pensée qu’il nous a indiquées. Nous ne pourrons pas l’oublier.
Christian Comeliau
Economiste, professeur honoraire à l’Institut