La 6e édition de la conférence Building Bridges s’est tenue du 30 septembre au 2 octobre derniers. Comment définissez-vous la finance durable et en quoi ces conférences se distinguent-elles dans le paysage international ?
Patrick Odier (PO) : Pour moi, la finance durable consiste à orienter la dette et les fonds propres vers des solutions qui créent de la valeur à long terme tout en réduisant les impacts négatifs dans les limites planétaires. Bien menée, elle permet aux investisseurs de gérer les risques physiques, juridiques et réputationnels, de renforcer la résilience, d’attirer les talents et de réduire l’exposition aux chocs.
Chaque année, Building Bridges réunit à Genève, en Suisse — dans un cadre neutre —, un écosystème international de leaders de la finance durable. Lors de notre événement phare, des dirigeant·es d’organisations internationales, d’ONG, d’entreprises, de la finance, de gouvernements et du monde académique se rassemblent pour façonner un récit positif et axé sur les solutions, mettre en lumière des réussites concrètes et catalyser des avancées tangibles.
Nos initiatives menées tout au long de l’année visent à créer les conditions propices à une collaboration intersectorielle et à un véritable échange d’idées. Aux côtés de l’engagement constant de nos partenaires, nos efforts contribuent à positionner la Suisse comme un acteur de premier plan dans le paysage international de la finance durable.
L’Institut de hautes études internationales et du développement est partenaire de Building Bridges. Pourquoi est-il essentiel que le monde académique soit associé à une telle initiative ?
Marie-Laure Salles (MLS) : L’implication du monde académique dans une initiative comme Building Bridges est essentielle car elle permet l’inscription de la démarche dans le temps long. Les institutions académiques comme l’Institut abordent les questions du lien entre enjeux planétaires et finance en privilégiant la contextualisation et l’analyse fine des dynamiques historiques et contemporaines. L’Institut, par l’intermédiaire de ses centres de recherche (Centre Hoffmann pour la durabilité globale et Centre finance et développement en particulier), mobilise la pensée critique et la rigueur intellectuelle de ses chercheur·es pour déployer une analyse systémique enrichie d’une approche interdisciplinaire. Les institutions académiques comme l’Institut vont aussi s’engager dans une action de formation qui permet d’inscrire ces préoccupations dans la projection de nouvelles générations de leaders — autant de professionnel·les engagé·es, capables de penser le monde autrement et de contribuer à l’invention de solutions durables et responsables. En s’associant à Building Bridges, l’Institut affirme sa vocation : celle de relier savoirs et actions, recherche et engagement, pour construire des ponts entre les mondes, les disciplines et les générations.
Depuis la première édition en 2019, quels progrès concrets ont été réalisés dans la finance durable en termes de perceptions de pratiques et quels sont vos objectifs pour le futur ?
PO : Depuis 2019, la finance durable est passée d’un sujet de niche à une tendance de fond. Les risques climatiques, naturels et sociaux sont désormais intégrés dans les processus d’investissement et d’octroi de crédit, et les flux de capitaux sont de plus en plus orientés vers des solutions durables.
L’adoption de normes communes — comme celles du Conseil international des normes de durabilité (ISSB), de l’ancienne Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) — permet d’harmoniser et de rendre comparables les rapports en matière de durabilité. La poursuite de ces avancées aidera les investisseurs et les entreprises à mieux évaluer les risques de transition et les risques physiques, réduisant ainsi l’exposition aux actifs échoués à mesure que les modèles non alignés perdent de leur valeur.
Je considère le renforcement des capacités comme une étape essentielle de la prochaine phase. Chez Building Bridges, nous concevons des programmes qui enrichissent les connaissances et partagent des outils pratiques pour une analyse de durabilité applicable de manière cohérente à toutes les classes d’actifs. Pour les étudiant·es et les universitaires, c’est un champ d’innovation vaste, notamment en matière de données, de valorisation et d’impact sur l’économie réelle.
Les objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations Unies constituent une feuille de route universelle pour un avenir plus équitable et durable. Selon vous, quel rôle la finance durable peut-elle jouer dans l’atteinte de ces objectifs, et comment l’Institut contribue-t-il à renforcer cette articulation entre finance et développement ?
MLS : La finance durable peut et doit jouer un rôle déterminant dans la réalisation des ODD. Sans la contribution des financements privés, cette feuille de route pour l’humanité restera lettre morte — le risque étant mêmed’un recul important sur un certain nombre de ces objectifs. La finance durable doit se saisir de ces enjeux parce qu’ils conditionnent la pérennité même de nos sociétés. Il ne s’agit donc pas simplement ici d’une démarche philanthropique mais bien d’un intérêt bien compris et d’une double logique, à la fois de résilience mais aussi de profit pour le secteur financier. Nous sommes à un tournant historique pour l’humanité : soit nous sommes capables d’investir et de nous investir pour une transformation majeure qui permettra adaptation, résilience et nouveaux modèles de productivité et de production de valeur, soit nous devons accepter une longue spirale dystopique qui nous touchera toutes et tous et qui à terme détruira une grande partie de la valeur produite jusqu’alors.
L’Institut contribue activement, depuis de nombreuses années, à cette articulation entre finance et développement en formant des leaders capables de penser ce lien et donc de porter une finance de la transition. Notre rôle est aussi de produire une recherche d’excellence, critique et interdisciplinaire, sur le rôle de la finance dans et pour le développement et la transition. Enfin, nous sommes un lieu de rencontres et de débats : en créant des espaces de dialogue et d’échange entre chercheur·es, praticien·nes, décideurs et décideuses politiques et une future génération d’intervenant·es, nous animons une agora indispensable à l’action collective, permettant de concevoir et d’opérationnaliser une finance qui sait réconcilier production de valeur et bien commun.
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Cet article a été publié dans Globe #36, la Revue de l'Institut, en novembre 2025.