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11 December 2013

Entre marché et démocratie, des Boliviens optent pour la solidarité

A 4000 mètres d’altitude sur les hauts plateaux andins, des habitants d’El Alto, en Bolivie, échangent et produisent différemment, loin des grands centres financiers et des crises structurelles qui secouent toujours le continent européen. Rejetant la monétarisation et la logique d’accumulation, ils ouvrent d’autres espaces économiques à travers la famille et la communauté, les associations de paysans et d’ouvriers, et d’autres rapports sociaux réciproques et solidaires qui amortissent les tensions entre le libre marché et une certaine égalité des conditions de vie promise par la démocratie.

Or l’économie solidaire, cet espace économique organisé en dehors de la relation classique capital-travail salarié, cohabite mal avec la «révolution démocratique et culturelle» lancée par le président Evo Morales en 2006. Dans la foulée de ces réformes, la pluralité de l’économie bolivienne a été reconnue dans la nouvelle constitution adoptée en 2009. Mais cette vision « ne laisse quasiment aucune place à l’économie solidaire, pratiquée notamment par des centaines d’organisations d’artisans et d’agriculteurs, qui articulent principes de marché, de réciprocité et de redistribution et ne les opposent pas, » d’après l’ancienne étudiante de l’Institut Isabelle Hillenkamp, qui vient de publier son dernier livre «L’économie solidaire en Bolivie : entre marché et démocratie», une coédition des Graduate Institute Publications et des Editions Karthala.

Au terme d’une année passée à El Alto, Isabelle Hillenkamp offre la première analyse précise de l’économie solidaire bolivienne. Sa recherche de terrain a été l’occasion de rencontres remarquables, notamment avec ces « groupes de femmes artisanes qui existent dans de nombreux quartiers urbains pauvres, » se souvient l’auteure. « Avec l’aide d’organisations locales ou internationales, ces femmes s’organisent pour acquérir collectivement des équipements, comme par exemple des métiers à tisser, déterminer une gamme de produits communs et les commercialiser ensemble. Elles ne rejettent donc pas le mécanisme de marché, mais tentent de le soumettre à leurs propres principes de solidarité pour en tirer des revenus plus élevés ou plus stables. »

Dépassant le cadre de son cas d’étude, l’auteure se livre à une lecture croisée de l’Europe et de l’Amérique latine du XIXe  siècle jusqu’à aujourd’hui afin de mieux cerner les contradictions entre deux grands projets de société : la démocratie et le marché. D’après Hillenkamp, « le marché, comme principe d’intégration économique incarné dans une diversité d’institutions marchandes d’une part, la démocratie comme système d’institutions visant l’expression du pluralisme des valeurs de l’autre, ne peuvent coexister sans un système de médiations solidaires conciliant en pratique les valeurs de liberté et d’égalité ».

Titulaire d’un doctorat de l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève, pour lequel elle a reçu le prix 2010 de l’Association des anciens de l’Institut, Isabelle Hillenkamp est chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, en France. A partir d’enquêtes en Amérique latine, ses recherches portent sur l’économie populaire et solidaire.

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