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FACULTÉ & EXPERTS
15 September 2025

France : tout ça pour ça ?

Suite à la nomination de Sébastien Lecornu comme premier ministre, le professeur Jean-François Bayart livre son analyse sur la crise politique française.

La nomination de Sébastien Lecornu comme premier ministre confirme que la France est loin d’être sortie de la crise politique dans laquelle l’a plongée la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, en 2024. 

Le choix de l’un de ses proches suscite la perplexité. Par quel miracle le nouveau locataire de Matignon réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué, alors que les ingrédients de la tambouille offerte aux député·es et à l’électorat demeurent les mêmes –jusqu’à l’assurance, donnée par l’impétrant, que les choses allaient changer ? Cette promesse, Emmanuel Macron la répète depuis 2017 au point qu’elle n’a plus aucune crédibilité, pas plus dans sa bouche que dans celle de son favori et, il faut maintenant le craindre, de la classe politique dans son ensemble.

L’étranger impute volontiers les problèmes de la France à l’immaturité de son peuple, incapable de regarder les choses en face, et se comportant comme une cigale dans un monde de fourmis. Néanmoins, le déni n’est pas là où on le croit. 

En l’occurrence, il est d’abord le fait d’Emmanuel Macron qui n’a jamais pris acte de sa défaite lors des législatives de 2022. Faute d’avoir obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, il aurait dû constituer un gouvernement de coalition. Il a dû s’y résigner deux ans plus tard, dans les pires conditions, et au prix d’un autre déni : celui de la victoire, certes relative, de la gauche aux législatives de 2024, et de la déroute de son camp. 

Ce déni de la démocratie – récurrent en France depuis la non-prise en compte du rejet de la Constitution européenne lors du référendum de 2005 – va de pair avec un entêtement. Emmanuel Macron n’accepte aucune inflexion de la politique de l’offre dans laquelle il s’est enfermé, avec le bilan financier que l’on sait et les crispations sociales qu’elle engendre. 

Or, cet aveuglement personnel est largement partagé au cœur du système politique, pendant que La France insoumise joue à la révolution, que les écologistes cultivent leur jardin et que le Rassemblement national se complait dans l’inconsistance économique. Aucun parti de gouvernement ne veut admettre la réalité. La politique néolibérale qu’ont mise en œuvre la gauche socialiste et la droite dite républicaine, depuis 1983, a conduit à un désastre absolu. Les services publics ont été détruits. Le pays s’est désertifié et désindustrialisé. Sa dette a explosé. Les inégalités et la pauvreté s’exacerbent. La crise environnementale est refoulée. La violence narcotique se généralise. L’opinion est entretenue dans l’illusion que tout irait mieux sans les immigré·es. 

Le déni de la réalité est d’abord le fait d’une classe dirigeante exsangue qui n’a plus d’autre réponse que répressive aux difficultés qu’elle crée elle-même. Voudrait-elle préparer une révolution qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. Reste que celle-ci risque d’être plus conservatrice, voire fascisante, que libérale et sociale, vu l’air du temps mondial.