news
FACULTÉ & EXPERTS
13 October 2025

Gouvernement Lecornu II : fonds de tiroir et odeurs d’égout

Le professeur Jean-François Bayart propose une lecture critique de la scène politique française suite à la nomination de Sébastien Lecornu au poste de premier ministre.

Emmanuel Macron a donc tiré un nouveau lapin de son chapeau de prestidigitateur. Le même que la dernière fois ! Tout ça pour ça, bis repetita… Le président de la République, essoré par huit ans d’errements politiques et idéologiques, en est à vider les fonds de tiroir de feu la macronie dont nombre d’élus et deux ténors rivaux, Edouard Philippe et Gabriel Attal, prennent désormais la tangente, tels des rats fuyant un navire en perdition.  

Mercredi dernier, je présidais le jury de soutenance de l’excellente thèse de Youssef Ahmed, consacrée aux Frères musulmans en Égypte. Entrant dans la salle et voyant sur l’écran le titre de celle-ci, The Tragedy and the Farce, j’ai eu un moment de doute. M’étais-je trompé et entrais-je dans une salle où se donnait une conférence sur la situation politique en France ? Car la pantomime est de mise dans l’Hexagone, et elle annonce bel et bien sinon une tragédie, du moins un drame brun. 

Emmanuel Macron met dramatiquement en scène sa solitude en se promenant sur les rives de la Seine, peut-être dans l’espoir de capter le mana de François Mitterrand qui y déambulait volontiers. 

Bruno Retailleau, le leader des Républicains qui prétend incarner la droite de gouvernement responsable et compétente, fait exploser le gouvernement fraîchement constitué dont il est membre et amène le premier ministre à démissionner quatorze heures plus tard : parce qu’il ne supporte pas la tête de Bruno Le Maire, qui avait quitté la vie politique mais qui y est revenu par la fenêtre du Ministère des armées – et tant pis (ou tant mieux ?) pour ses étudiants de l’Université de Lausanne !

Lesdits Républicains, qui avaient débarqué leur ancien président, Éric Ciotti, coupable de s’allier avec le Rassemblement national pour les législatives de 2024, au prix d’un épisode grotesque d’auto-séquestration dans le siège du parti, pactisent sournoisement avec Jordan Bardella, fort de l’onction de Nicolas Sarkozy. 

Le président de la République, qui a accepté la démission de Sébastien Lecornu le lundi 6 octobre au matin, le remet en selle le soir même pour une énigmatique mission de conciliabules de la dernière chance. Ce dernier l’endosse en se présentant comme un « moine-soldat », statut politique inattendu dans une République qui se pique de laïcité, tout en jurant qu’on ne l’y reprendra pas comme premier ministre. En fin de semaine, il rempile néanmoins. Mais ni Les Républicains ni certaines des composantes du « bloc central » n’envisagent d’entrer dans son nouveau gouvernement, préférant se prononcer sur chacun des textes qu’il soumettra au Parlement, tandis que les socialistes conditionnent leur vote à la suspension de la réforme des retraites, ce qui serait inacceptable pour Edouard Philippe et Bruno Retailleau. 

Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron ont-ils bien entendu ce que leur ont dit leurs interlocuteurs durant la semaine ? Une lueur d’espoir, tout de même : Louis de Bourbon se dit prêt à devenir roi de France.

Bref, pour parler comme Nicolas Sarkozy à propos de son instruction judiciaire dans l’affaire libyenne, « personne n’y comprend rien » ! 

Sauf que là où la tragédie a tourné à la farce en Égypte, si l’on en croit notre collègue Youssef Ahmed, en France la farce annonce sans doute une tragédie : celle de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite qui, dopée par le trumpisme et forte du contrôle d’une bonne part des médias et de l’édition par milliardaires interposés, pourrait se sentir libre de mettre en œuvre son programme de « préférence nationale » et d’exclusion des immigré·es. 

Jean-Luc Mélenchon, à cause de son âge, Marine Le Pen, pour échapper à la peine d’inéligibilité, et Edouard Philippe, parce que sa cote de popularité s’effrite dans les sondages et qu’il entend garder la corde, veulent précipiter l’élection présidentielle. Les Républicains semblent désormais prêts à l’« union des droites » qui, en fait, sera la fusion-acquisition de la droite et de l’extrême-droite au profit de la seconde. Emmanuel Macron, tel le maréchal von Hindenburg en 1930-1933, n’a d’autre boussole que son refus de voir la gauche social-démocrate revenir au pouvoir et la sauvegarde de sa politique de l’offre, pour calamiteuse qu’elle se révèle sur le plan économique et financier. Il restera « libéral-autoritaire » et schmittien, jusqu’à la lie.

Comme l’on voit mal le gouvernement Lecornu II résister à la motion de censure qui le menace avant même qu’il ne soit constitué, une nouvelle dissolution paraît très difficilement évitable, en dépit de l’évidente bonne volonté des socialistes et, maintenant, des écologistes. Elle donnera(it) probablement la majorité absolue à une coalition RN-LR selon la recette du pâté d’alouette. Le 9 octobre dernier, la profanation de la tombe de Robert Badinter, le matin de son entrée dans le Panthéon, nous a déjà fait sentir l’odeur d’égout qui flottera(it) alors dans le « doux pays de mon enfance ».

 

_____

Cet article représente l'opinion de l'auteur.

Image © Ecole polytechnique / Institut Polytechnique de Paris / J.Barande