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19 February 2015

La BNS condamnée à tourner en rond?

Le professeur Wyplosz analyse les convergences et les divergences des politiques monétaires en Suisse et dans la zone euro.

Durant la période du taux plancher, officiellement, le franc pouvait flotter librement au-dessus de 1,20. En pratique, il ne s’est jamais éloigné du taux plancher. Autrement dit, la Suisse a connu pour la première fois depuis quarante ans un taux de change fixe. A en juger des réactions qui ont suivi l’abandon du taux plancher, les Suisses ont bien aimé l’expérience. A moins qu’ils n’aient juste détesté la sortie? Bien sûr, il y a aussi ceux qui ont détesté le taux plancher et qui se sont réjouis de sa fin prématurée. Quelles leçons peut-on tirer de tout cela? En gros, qu’il n’y a pas de meilleure réponse à la question du taux de change et que les choix sont autant politiques qu’économiques.

Durant les trois années à taux fixe, la Suisse a presque bénéficié des mêmes avantages que les pays membres de la zone euro. Depuis plus de cinq ans, la zone euro est secouée par une crise extrêmement grave mais tous les pays ne sont pas touchés de la même manière. Les pays dits périphériques (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Chypre) sont soumis à rude épreuve alors que l’Allemagne et d’autres pays du Nord sont en relativement bonne forme. Sans l’euro, les pays périphériques auraient connu une crise des taux de change, qui aurait profondément altéré la compétitivité des pays du Nord, et également des autres comme la France ou l’Autriche. L’euro a tout simplement protégé l’ensemble de l’Union monétaire d’une source de graves perturbations. On ne parle pas des secousses qui n’ont pas eu lieu, évidemment, mais le fait qu’elles n’aient pas eu lieu est tout aussi important que celles qui se produisent. Depuis septembre 2011, la Suisse s’était mise sous le même paratonnerre et plus personne ne s’inquiétait du taux de change. Merci l’euro, et merci le taux plancher.

Evidemment, on n’a jamais rien sans rien. Le prix à payer pour cette protection silencieuse est l’abandon de l’autonomie de la politique monétaire. Au sein de la zone euro, c’est clair. La BCE est devenue la banque centrale de toute l’Union, les banques centrales nationales ne sont que des filiales sans aucun pouvoir de décision. Pour la Suisse, il en allait de même. De septembre 2011 à janvier 2015, la Suisse était membre non officiel de la zone euro. La BNS ne pouvait que défendre le taux plancher en alignant son taux d’intérêt sur celui de la BCE et en absorbant passivement tous les euros qui arrivaient.

Le 15 janvier, la BNS a repris ses cartes en main. Voilà qui devrait satisfaire les adeptes de l’indépendance. Sauf que l’effet immédiat a été une appréciation du franc qui désespère les entreprises (et leurs employés) qui, directement ou indirectement, sont soumises à la concurrence internationale. La vraie question est de savoir ce que la BNS peut faire de son autonomie retrouvée. Cette question est dérangeante parce que la réponse est: pas grand-chose. En effet, le franc ne peut pas trop se décaler vis-à-vis de l’euro, parce que la zone euro est un partenaire commercial essentiel. Dans la nouvelle période qui s’ouvre, la BNS va nécessairement surveiller de près son taux de change avec l’euro et faire ce qu’elle peut
pour le stabiliser à un niveau pas trop insupportable. C’est là le meilleur usage possible de son autonomie, mais la différence avec le régime du taux plancher ne sera pas grande. Elle devra choisir son taux d’intérêt avec l’oeil rivé sur le marché des changes et elle risque d’être amenée à intervenir et à absorber des devises étrangères, encore et toujours.

Alors, on tourne en rond? Eh oui. Un (relativement) petit pays très intégré à son gros voisin ne dispose pas de grandes marges de manoeuvre en matière de politique monétaire. Avant l’adoption du taux plancher, la BNS ne manquait aucune occasion de vanter son autonomie mais, dans la pratique, le franc restait arrimé à l’euro. Elle jurait ses grands dieux qu’elle n’y était pour rien. D’où, alors, venait cette divine coïncidence? Du fait que les objectifs de la politique monétaire de la BNS et de la BCE (et, auparavant, de la Bundesbank) étaient très similaires. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les deux banques centrales agissaient de la même manière au même moment et, naturellement, leurs monnaies évoluaient en parallèle.

La différence, aujourd’hui, est que la zone euro traverse une crise qui ne cesse de rebondir. Les politiques monétaires risquent donc de diverger. Si la situation se dégrade en Europe, le franc devrait s’apprécier et la pression va monter sur la BNS pour qu’elle limite cette appréciation. Comme avant l’adoption du taux plancher. Décidément, on tourne en rond.

Cet article a été publié dans "Le Temps" du 19 février 2015.