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25 November 2013

La crise de l’euro prend une tournure globale

Selon le professor Cédric Tille, dans son article publié dans l'Agefi le 22 Novembre 2013, une hausse de la demande allemande est effectivement nécessaire pour sortir de la crise.

Les autorités allemandes sont l’objet de vives critiques quant à leur politique économique, l’OCDE, le FMI et les Etats-Unis leur demandant de faire plus pour stimuler leur demande intérieure et contribuer ainsi à soutenir l’économie globale. Sans surprise, la réponse de Berlin est que les autres Etats devraient plutôt suivre l’exemple des substantielles réformes allemandes entreprises au début des années 2000. L’Allemagne est-elle un bouc émissaire facile? Il n’en est rien, et les récentes critiques ne font que montrer qu’un problème jusqu’ici confiné au sein de la zone euro déborde plus globalement. Un examen des soldes de balance des paiements est instructif. Jusqu’à 2009, le solde extérieur pour l’ensemble de la zone euro est resté légèrement positif. Cette stabilité cachait de fortes divergences. Si les soldes de chaque pays étaient proches de zéro à la fin des années 1990, les excédents de l’Allemagne et du Benelux ont fortement augmenté par la suite, alors que les déficits des pays du sud se creusaient. Comme la création de l’euro avait supprimé le risque de taux de change, les investisseurs du nord ont financé un boom dans les pays du sud. Ceci a été renforcé par les réformes en Allemagne qui ont restreint les salaires, donc accru la compétitivité, la faiblesse de la demande interne étant compensée par la demande des autres pays européens

Depuis 2008 la situation s’est renversée, les pays du sud ayant entrepris de réduire leurs déficits, une tâche essentiellement accomplie en 2012. Si le surplus allemand s’est quelque peu réduit de 2007 à 2009, il est ensuite reparti à la hausse. Ce surplus est maintenant réalisé avec des pays hors de la zone euro, ce qui conduit à une explosion du surplus extérieur de la zone dans son ensemble de 30 milliards de dollars en 2009 à 227 milliards en 2012, le FMI le projetant à 420 milliards en 2018. Il s’agit là d’un changement profond dans le paysage économique mondial, le surplus de la zone euro étant par exemple supérieur à celui de la Chine (193 milliards de dollars en 2012). Il faut donc s’attendre à des pressions non seulement de la part des Etats-Unis, mais aussi de pays émergents dont la croissance reste dépendante des exportations, et pour lesquels le FMI a substantiellement revu ses projections à la baisse. Mais les Allemands ne sont-ils pas punis d’avoir été de bons élèves? Il n’en est rien. Tout d’abord, si une modération salariale telle que celle entreprise en Allemagne est justifiée pour réduire le chômage, elle n’est pas une fin en soi. Un pays dont le modèle de croissance repose sur des excédents commerciaux année après année est comme un ménage qui épargne fortement sans jamais profiter du produit de cette épargne. Ensuite la compétitivité est un concept relatif: l’Espagne ne peut pas être plus compétitive en soi, mais par rapport à l’Allemagne. Celle-ci doit donc accepter de perdre de sa compétitivité, soit par une inflation en Allemagne soit par une déflation dans les pays du sud. L’ajustement de compétitivité jusqu’à présent se fait selon le deuxième scénario, au prix d’une forte récession. Au début des années 2000, les gains de compétitivité allemande avaient par contraste bénéficié des hausses de prix dans les pays du sud. Le défi de l’Europe est donc de relancer la demande intérieure dans les pays du nord, ce qui facilitera l’ajustement dans ceux du sud et réduira les tensions avec le reste du monde. La réaction assez vive d’observateurs allemands suite à la récente baisse des taux de la Banque Centrale Européenne est dès lors de mauvais augure.

Cedric-Tille.pngMembre du corps enseignant depuis 2007, Cédric Tille a précédemment été économiste au Département de recherche internationale de la Réserve fédérale de New York. Ses intérêts de recherche couvrent plusieurs aspects de la transmission internationale des fluctuations et politiques économiques: la globalisation financière et ses conséquences sur la transmission des fluctuations macroéconomiques; les déterminants de l’allocation des investissements financiers dans un contexte international et les conséquences sur les flux financiers; enfin, les déterminants de la dominance de certaines monnaies dans les échanges internationaux et les conséquences sur la conduite de la politique macroéconomique.