Andrea Bianchi est professeur de droit international à l’Institut depuis 2002. Il a été professeur à l’Université catholique de Milan et à l’Université de Parme. Ses domaines d’expertise portent notamment sur le terrorisme, l’emploi de la force, l’ONU et le Conseil de sécurité, la prolifération des armes de destruction massive. Il est également spécialiste de droit pénal international, des droits de l’homme, du droit humanitaire et de l’environnement.
Le Temps: Dans le cadre libyen et ivoirien, on parle de responsabilité de protéger. D’où vient cette notion?
Andrea Bianchi: Elle a vu le jour en France au sein de la société civile sous l’impulsion de Bernard Kouchner et du professeur de droit international Mario Bettati. Il était question à l’époque de droit d’ingérence humanitaire. C’était déjà une doctrine très controversée. La responsabilité de protéger prévoit que tout Etat doit protéger ses citoyens. S’il n’y parvient pas, ce devoir incombe à la communauté internationale. Elle est censée intervenir dans quatre scénarios: en cas de génocide, crimes de guerre, crime contre l’humanité et nettoyage ethnique. Après l’ère de la souveraineté quasi intangible des Etats dans les années 1960 et 1970, on s’est rendu compte, face à la tragédie du génocide au Rwanda et à l’intervention humanitaire au Kosovo, qu’il fallait agir de façon préventive.
– Si droit d’ingérence et responsabilité de protéger sont des notions similaires, pourquoi avoir changé de vocabulaire?
– Le Kosovo, en 1999, a été un tournant. Les gouvernements occidentaux ont invoqué l’ingérence humanitaire. Mais celle-ci s’est déroulée en dehors de la Charte des Nations unies. L’opération a provoqué un fort clivage au sein de la communauté internationale. Certains pays, notamment les non-alignés, ont parlé d’agression, et ont critiqué un emploi injustifié de la force. La notion d’ingérence humanitaire étant du coup discréditée, le gouvernement canadien a pris l’initiative et publié un rapport intitulé «La responsabilité de protéger». Ce changement sémantique a eu pour but de faire oublier le caractère colonialiste du droit d’ingérence.
– Quels sont les risques liés au concept de responsabilité de protéger?
– C’est une arme noble en soi, mais elle est à double tranchant. Le principal danger relève de la manière sélective dont la communauté internationale risque d’appliquer le concept. Pourquoi le met-on en œuvre en Libye et en Côte d’Ivoire et pourquoi ne le fait-on pas ailleurs où cela pourrait aussi se justifier? Pour l’éviter, il faut définir des objectifs d’intervention clairs. Or, en Libye, on dit qu’il faut protéger la population civile. C’est trop vague. Ces jours-ci sont donc décisifs dans la mise en œuvre de la responsabilité de protéger. Si la coalition d’Etats devait utiliser cette notion en Libye comme un moyen d’atteindre un autre but, un changement de régime par exemple, la légitimité d’intervenir pourrait voler en éclats.
– Est-ce une nouvelle norme de droit international?
– Non. Pour moi, la responsabilité de protéger n’est pas une norme. Cela reste un concept, une espèce de doctrine politique susceptible de guider l’action du Conseil de sécurité. Maintenant, il est vrai que ce même Conseil de sécurité y fait référence dans une résolution de 2006 et que le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a publié, en 2009, un rapport pour sa mise en œuvre. Il est vrai aussi qu’en autorisant ce genre d’intervention humanitaire, le Conseil de sécurité transforme le concept en obligation. On est toutefois loin de voir apparaître une norme de droit coutumier.
Propos recueillis par Stéphane Bussard.
Cet article a été publié dans Le Temps du 13 avril 2011.
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