Je dis qu’alors, […] ressuscitant les vertus de nos bâtisseurs, de nos sculpteurs, de nos peintres, de nos poètes, au Nord et au Sud du Sahara, l’Afrique contribuera puissamment à l’édification de la Civilisation de l’Universel. Par son unité, elle aura été, auparavant, un facteur de paix : de cette Paix sans laquelle, il n’est pas de civilisation.
Léopold Sédar Senghor, Président de la République du Sénégal¹
En posant l’unité comme pierre angulaire d’une Afrique forte et pleinement investie dans le système international, Léopold Sédar Senghor a contribué dès les indépendances, aux côtés des autres pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine — Kwame Nkrumah, Abdel Gamal Nasser, Hailé Sélassié entre autres —, à l’émergence d’un panafricanisme polysémique. À l’instar des communautés de destin imbriqué qui façonnent l’Afrique d’aujourd’hui, le panafricanisme constitue la matrice politique qui porte l’engagement du continent sur la scène mondiale. Il convient de souligner que l’idéologie panafricaniste, une des plus anciennes doctrines régionalistes, promeut une approche plurielle de l’ordre mondial. En effet, loin de projeter une vision univoque du monde, elle offre différentes perspectives de la société internationale, à la fois par sa trajectoire idéationnelle et par sa praxis.
Par-delà une lecture de courte vue le présentant comme un angle mort de la scène mondiale, le continent africain a toujours été un « agent » catalyseur d’un système international « pluriversel » qui accorde une juste place à toutes nos polities — au sens de Baechler². Riche de ses 54 États, et bien que toujours marquée par les stigmates de la colonisation et des conflits, l’Afrique s’investit avec ingéniosité dans la fabrique d’une nouvelle gouvernance mondiale en prenant appui sur la doctrine panafricaniste. Il n’est pas surprenant que l’Union africaine ait désigné la diaspora africaine comme la sixième sous-région du continent, faisant parfaitement écho à la philosophie Ubuntu du « nous ». D’un point de vue heuristique, le panafricanisme donne ainsi à voir une diversité d’approches sur les possibles structurations de l’ordre mondial.
Cependant, demeure le défi d’appropriation par les peuples africains du projet d’intégration régionale que porte l’organisation continentale de concert avec les institutions sous-régionales. Son succès passe par l’ancrage d’un sentiment d’appartenance plus fort, gage que chaque citoyenne et chaque citoyen africain s’identifie davantage aux institutions supraétatiques panafricaines. Cela suppose la promotion d’un panafricanisme des peuples en tant que véritable levier de développement au bénéfice des populations africaines.
Il n’en demeure pas moins que plus d’attention doit être accordée aux contributions de la doctrine panafricaniste dans la fabrique d’une gouvernance mondiale plus inclusive : le prochain Congrès panafricain de Lomé en décembre 2025 représente à cet égard une occasion unique pour imaginer, ensemble, un autre ordre mondial.
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¹ Léopold Sédar Senghor, Président de la République du Sénégal, Discours d’ouverture lors de la création de l’Organisation de l’Unité africaine, Addis-Abeba, 23 mai 1963.
² Jean Baechler, Les morphologies sociales (Presses Universitaires de France, 2005).
Cet article a été publié dans Globe #36, la Revue de l'Institut.