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Research
20 July 2017

«Les voix des Pâquis»: quand la poésie explique et enrichit la vie des migrants à Genève

Philippe Gazagne évoque un projet inédit dans le monde académique.


Utiliser les mots, l’image et le son pour stimuler le dialogue interculturel entre habitants et usagers du quartier des Pâquis à Genève, tel est le but de la plate-forme multimédia participative «Les voix des Pâquis». Précisions avec Philippe Gazagne, chercheur au Centre des migrations globales de l’Institut, sur un projet inédit dans le monde académique, financé par l’instrument Agora  du Fonds national suisse de la recherche scientifique pour promouvoir le dialogue entre les scientifiques et la société.

Pourquoi ce projet, tant du point de vue de son objectif que de sa forme?

Lors de notre recherche précédente sur le quartier, les habitants des Pâquis ont régulièrement exprimé leur lassitude face aux discours stéréotypés produits sur leur quartier, fatigués d’entendre des voix extérieures (médias, acteurs politiques) leur dire ce que cela signifie d'y vivre. Ils se plaignaient par ailleurs d’être fréquemment sollicités par des chercheurs et des étudiants sans recevoir ensuite de nouvelles sur les conclusions des recherches effectuées. De là nous est venue l’idée de leur donner la parole et de faire connaître leurs points de vue, en associant les possibilités offertes par Internet. En réponse à leur requête, le projet Les voix des Pâquis vise à créer un espace d’expression et de dialogue interculturel/intergénérationnel qui reflète la diversité culturelle et sociale du quartier, ainsi que son histoire. Habitants et usagers sont invités à prendre une part active à ce projet collaboratif.

Le poème est au centre de votre projet. Pourquoi avoir choisi cette forme d’expression?

Nous avons utilisé les possibilités nouvelles qu’offre Internet en termes de pratiques participatives et collaboratives pour favoriser le rôle actif du public cible en faisant appel à sa créativité. Le projet multimédia Les voix des Pâquis est ainsi né de la collaboration avec des habitants et usagers du quartier, dans un processus long visant à laisser émerger leurs initiatives et idées. Le cœur du projet a énormément évolué au fil du temps, bénéficiant des propositions et de la participation des habitants. La plate-forme s’est développée comme un web documentaire collaboratif basé sur le principe de la réponse artistique par l’image et le son. Le site s’est alors structuré autour d’une production poétique par les habitants et les usagers. Cette approche permet de révéler la dimension sensible de ce que signifie vivre aux Pâquis, en présentant le quartier comme espace constitué par des pratiques sociales plutôt que comme espace réceptacle de discours venus de l’extérieur. Les poèmes sont généralement dits par les auteurs eux-mêmes. Les visiteurs du site peuvent à leur tour proposer un texte ou encore réagir aux poèmes existants par le son ou l’image, de sorte que chaque texte peut faire l’objet de multiples réinterprétations dans un croisement des regards et des sensibilités.

Comment la population a-t-elle reçu votre projet? Avez-vous rencontré des difficultés à cet égard?

Nous avons largement adapté notre projet de communication participative aux réalités du terrain. Notre souhait était d’ajuster notre approche en fonction des propositions des acteurs principaux que sont les habitants du quartier, pour que ceux-ci puissent se l’approprier et y participer activement. Différentes réorientations ont ainsi entraîné un rééchelonnement de notre calendrier. Notre idée de départ était de donner la parole aux habitants, en associant les possibilités offertes par Internet et la production d’un film. Après avoir lancé le projet, nous nous sommes vite rendu compte que le récit filmique que nous avions conçu initialement ne répondait pas pleinement à notre visée collaborative. Ce documentaire, structuré autour de castings filmés, reproduisait un rapport chercheur-observé qui n’était pas cohérent avec notre ambition participative et aboutissait à un discours sur les habitants plutôt qu’à un discours élaboré avec eux. Nous avons finalement abandonné le projet de film au profit d’une plate-forme multimédia autour de laquelle nous avons repensé et accentué la dimension collaborative. Dans cette nouvelle configuration, le chercheur-cinéaste agit en tant que facilitateur de l’expression habitante à travers sa présence dans le quartier et l’organisation d’ateliers d’expression créative plutôt que comme réalisateur de documentaire.

Y aura-t-il une suite à cette expérience ?

Le projet est financé jusqu’au 30 octobre 2017. Notre objectif est maintenant de dynamiser la plate-forme multimédia afin qu’elle vive de manière autonome. Cette pérennisation nécessitera selon moi une extension du projet d’au moins six mois – je suis actuellement à la recherche d’un financement pour l’assurer. Ce prolongement permettra d’organiser une série d’ateliers créatifs (écriture, slam, dessin, photo et vidéo) que je mettrai en œuvre avec quelques habitants et associations du quartier. Outre une communication via les réseaux sociaux, il s’agira de mettre en place des partenariats avec des festivals locaux qui se tiennent régulièrement dans le quartier. Selon le financement trouvé, nous produirons éventuellement un film sur cette expérience. Enfin, un atelier réunissant les acteurs sociaux et politiques locaux (habitants et usagers, représentants des associations et des autorités) aura lieu une fois la pérennisation du projet assurée.

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