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28 March 2022

L’ÉTAT EN AFRIQUE : ENTRE UTOPIE DÉMOCRATIQUE ET DYSTOPIE AUTORITAIRE ?

Suite à la série de coups d’État en Afrique, le professeur Degila s’interroge sur ce que devrait être l’État moderne africain.

L’histoire semble se répéter : ces derniers mois, une pandémie de coups d’État s’est abattue sur l’Afrique, comme durant les premières décennies postindépendances. Au Mali, en Guinée, au Soudan et plus récemment au Burkina Faso, les « grandes muettes » sont sorties de leur silence et de leur caserne, dans des contextes sociopolitiques marqués par un délitement de l’appareil étatique en tant que pierre angulaire de la civitas

Il est intéressant de noter que chacun des pays qui ont dernièrement fait l’expérience d’un changement politique non constitutionnel est confronté à un double défi : d’une part, l’amplification de problèmes sécuritaires hybrides et souvent trop rapidement catalogués comme menaces terroristes, et d’autre part, la banalisation de pratiques néopatrimoniales illustrées notamment par une situation de prévarication endémique.

Dans ces circonstances, une option semble émerger en sourdine dans la région : celle de la tentation, sinon d’une certaine résignation, face à la militarisation de la vie politique. L’instauration de régimes militaires – par nature non démocratiques – serait-elle le chemin du salut pour les pays africains ? Les putschs ne sauraient devenir la recette de la stabilité politico-institutionnelle dans la région, d’autant que les configurations et dynamiques à l’œuvre dans les pays qui ont expérimenté ces coups d’État sont complexes et uniques.

Cependant, une constante émerge : chaque cas questionne la capacité d’appropriation par les acteurs politiques et militaires ainsi que par les diverses composantes de la société civile (chefs traditionnels, responsables religieux, syndicats, mouvements de jeunes, etc.) de ce qu’est un État ou plutôt de ce que devrait être l’État moderne africain. 

Il faut bien dire que la définition canonique wébérienne de l’État articulée autour du monopole de la violence physique légitime ne prend pas en compte les réalités propres au processus de formation des entités politiques en Afrique. L’analyse diachronique de la formation de l’État au sein des aires non occidentales nous donne à voir des trajectoires et formes d’organisation diverses, souvent peu prises en compte. En outre, l’impact de l’expérience coloniale est souvent aseptisé dans l’analyse de l’État.

La nécessité du débat autour de la pertinence du modèle étatique westphalien sur le champ africain n’est plus à démontrer. Pour autant, le recours aux coups d’État ne saurait être l’option idoine dans la recherche du modèle d’organisation politique le plus adéquat sur le continent. S’il est vrai que les pays africains doivent trouver eux-mêmes leur voie dans cette quête du Graal – la fabrique d’un État moderne ancré dans les réalités de chaque pays – ils ne doivent pas tomber dans un nivellement par le bas en se détournant des principes de liberté, d’inclusion, d’État de droit.

Ces valeurs partagées constituent, en Afrique comme ailleurs, des aspirations profondes des peuples, communautés de destin imbriquées qui continuent à façonner l’avenir du berceau de l’humanité.  Ainsi, forte de son histoire, en adéquation avec ses réalités mais sans concession sur les valeurs universelles axées sur le bien-être des peuples, l’Afrique pourra offrir sans complexe sa vision du vivre ensemble.    

Cet article a été publié dans Globe #29, la Revue de l'Institut.

Le 25 mai, l'Institut célébrera la Journée de l'Afrique. De plus amples informations seront disponibles prochainement.

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