Ils ont entre 15 et 24 ans et on les appelle les NEET, pour «not in education, employment or training». Déconnectée du marché du travail, au chômage et sans qualification, cette population mal connue se caractérise par un taux de chômage moyen de 16% en Europe. Dans leur ouvrage Ni en emploi, ni en formation : des jeunes laissés pour compte, Martina Viarengo, professeur d’économie internationale à l’Institut, et Francis Kramarz, directeur du Centre de recherche en économie et statistique à Paris, présentent les différentes politiques menées en matière d’éducation et de formation pour prévenir et combattre le chômage des jeunes. Nous reproduisons ci-dessous un compte rendu de ce livre fait par Guillaume Arnould dans la revue Lectures.
La question de l’emploi des jeunes constitue un véritable défi pour les politiques publiques. Les économistes Francis Kramarz et Martina Viarengo dressent dans cet ouvrage l’état des lieux des connaissances sur le sujet en partant de l’analyse d’une catégorie statistique récemment identifiée: les jeunes «ni en emploi, ni en formation». Désignés le plus souvent par l’acronyme anglais NEET pour «not in employment, in education or training», ces jeunes ont entre 15 et 29 ans, peuvent avoir un diplôme du supérieur, peuvent avoir travaillé ou recherché un emploi mais se trouvent en inactivité, c’est-à-dire en dehors du marché du travail et en dehors du processus d’acquisition de capital humain (éducation ou formation). En étudiant plus précisément cette catégorie de jeunes, ce livre permet d’aborder la transition de l’école à l’emploi et les difficultés qui lui sont propres.
Les auteurs débutent leur réflexion par un panorama du chômage des jeunes en Europe. Le constat qui en ressort est celui d’un phénomène qui frappe d’avantage les jeunes que la moyenne. Cette différence ne découle pas uniquement de la conjoncture économique et des équilibres macroéconomiques globaux, mais principalement d’un manque de compétences de certains jeunes. Kramarz et Viarengo prennent en effet appui sur la notion de «compétences» plus que celle de diplôme ou niveau de scolarité: les enquêtes de l’Organisation de coopération et de développement économiques permettent de prendre en considération la qualité des formations suivies (littératie, numératie, résolution de problèmes…) plus que la quantité d’éducation reçue. Ainsi en Grèce, en Espagne ou au Portugal des jeunes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur ont connu une augmentation du taux de chômage forte comme les individus les moins diplômés, malgré un niveau de formation élevé. Il apparaît ainsi que pour l’ensemble des pays étudiés les NEET proviennent le plus souvent des catégories situées le plus bas dans l’échelle des compétences.
Cette relation entre niveau de scolarité, maîtrise des compétences et chômage des jeunes est renforcée par la crise macroéconomique actuelle et affecte plus fortement certains secteurs selon les pays (l’industrie en Pologne et en Slovaquie, ou les services en Italie, en Grèce et au Portugal). Toutefois, il ressort de l’analyse économique que le principal facteur explicatif du chômage des jeunes réside dans l’inadéquation entre l’offre de compétences proposée par les demandeurs d’emploi et les attentes des entreprises qui souhaitent les employer sur le marché du travail. Pour étudier les politiques publiques visant à améliorer l’adéquation entre le système de formation et l’accès des jeunes à l’emploi, les auteurs rappellent les autres facteurs de rigidité d’un fonctionnement concurrentiel efficace du marché du travail: les syndicats, le salaire minimum et la protection de l’emploi. Kramarz et Viarengo montrent que ce sont principalement les petites entreprises nouvellement créées qui participent à la dynamique de création d’emplois et que ces rigidités les affectent plus lourdement.
Avant de livrer les principaux enseignements d’études empiriques menées dans différents pays pour apprécier l’efficacité des réformes des systèmes d’éducation et de formation pour réduire le chômage des jeunes, les auteurs précisent l’argumentation coût/bénéfice qui sous-tend la réflexion: le chômage des jeunes a un coût social élevé. Il faut en prendre en compte les coûts d’indemnisation, l’impact sur la santé physique et mentale, la baisse de l’espérance de vie, la probabilité de se livrer à des actes de délinquance… Ces conséquences de long terme du chômage des jeunes justifient une politique ciblée en faveur de l’entrée réussie sur le marché du travail. Dans cette logique ont été mises en place des actions visant à augmenter la durée de l’enseignement scolaire obligatoire ou visant à retarder le choix d’une orientation dans les filières professionnelles. De même, des politiques publiques ont cherché à mener des stratégies préventives dès la petite enfance pour développer les compétences cognitives et non cognitives des enfants issus des milieux les plus défavorisés. Enfin, ont été engagés des programmes correctifs de formation professionnelle pour les adolescents et jeunes adultes au chômage combinant accompagnement renforcé et acquisition de compétences.
Bien plus que les résultats des différents travaux évoqués dans le livre, c’est le plaidoyer méthodologique défendu par Kramarz et Viarengo qui importe. Les auteurs s’efforcent de ne tirer de conséquences que des études économétriques robustes et fiables: ils considèrent que trop d’initiatives ne peuvent être évaluées car elles font l’objet de biais d’autosélection et d’absence de contrefactuel. L’autosélection est un problème classique d’évaluation des politiques publiques: en ciblant un public précis, on court le risque de ne pas pouvoir mesurer les effets propres d’une politique. En accompagnant par exemple des jeunes uniquement sur la base de leur âge ou de leur niveau de diplôme, on ne tient pas suffisamment compte des caractéristiques propres à ces publics: milieu social d’origine, différence de maîtrise des compétences… D’où le besoin de distinguer dans les populations ciblées un groupe témoin qui aurait pu bénéficier de l’action publique mais qui en sera écarté pour constituer le « contrefactuel ». Cela peut découler d’un tirage au sort ou d’un évènement naturel (un changement de législation affectant les jeunes en fonction de leur date de naissance et non d’un choix individuel). C’est la comparaison entre les personnes ayant bénéficié d’une politique et celles et ceux qui aurait pu y être éligibles et qui n’ont pas été inclus qui permet de tirer des enseignements.
Comme les autres ouvrages de la collection «Sécuriser l’emploi», le livre de Francis Kramarz et Martina Viarengo constitue une synthèse actualisée des travaux empiriques des politiques d’emploi. En prenant pour exemple les actions publiques visant à lutter contre le chômage des jeunes, on constate avec les auteurs qu’il n’existe pas de politique applicable de manière générale avec des effets prévisibles: chaque programme doit tenir compte des spécificités du pays, conjoncture macroéconomique, institutions du marché du travail, particularités du système éducatif et de formation… et qu’il est nécessaire d’en évaluer précisément les effets par un protocole scientifique qui permette d’en apprécier l’efficacité sans idéologie.
Kramarz, Francis, et Martina Viarengo. Ni en emploi, ni en formation: des jeunes laissés pour compte. Coll. Sécuriser l'emploi. Paris: Presses de Sciences Po. 2015. 112 p.
Article original: Arnould, Guillaume. «Francis Kramarz, Martina Viarengo, Ni en emploi, ni en formation Des jeunes laissés pour compte». Lectures [en ligne], Les comptes rendus, 2016, mis en ligne le 4 janvier 2016. http://lectures.revues.org/19749.