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03 June 2015

Marchés réels ou marché fantasmé ?

Sommes-nous en crise parce que nous avons trop de marché ? Ou pas assez ? Dirigé par Isabelle Hillenkamp, qui a été assistante et doctorante à l’Institut et est aujourd’hui chercheuse au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques de l’Institut de recherche sur le développement (IRD-CESSMA), et Jean-Michel Servet, professeur d’études du développement à l’Institut, le livre Le Marché autrement : marchés réels et marché fantasmé montre que le principe de concurrence et la propriété privée ne peuvent s’exercer qu’en se fondant sur des communs et en s’associant avec d’autres logiques. Autrement dit, il existe divers types de marchés. Et tous ne sont pas émancipateurs. Explications des auteurs :

Qu’est-ce qui a inspiré ce livre ?

La crise financière, morale et politique mondiale qui s’est amorcée en 2007 a renouvelé le débat sur le potentiel émancipateur et démocratique du Marché aujourd’hui. Ce livre est une réaction collective contre un discours idéologique qui réclame d’étendre le Marché pour sortir de la crise. Il plaide pour une attitude responsable des chercheurs en sciences sociales spécialistes de domaines économiques, politiques et sociaux, qui s’appuie sur des études de terrain précises dans différents pays et sur l’analyse de l’évolution des sociétés.

Pourquoi faire une différence entre marché réel et marché fantasmé ?

Notre analyse distingue le Marché, en tant que logique abstraite renvoyant à la concurrence et la propriété privée, des marchés réels. Ceux-ci sont immergés dans les relations sociales et leur fonctionnement suppose des règles morales et politiques. Ce livre n’est pas un réquisitoire contre les marchés. Par contre, il met en garde contre le fantasme de soumettre la reproduction matérielle des sociétés aux seuls principe de la concurrence et de la propriété privée.

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Vous posez la question : « Sommes-nous en crise parce que nous avons trop de marché ? » Peut-on connaître la réponse ?

La crise des subprimes aux Etats-Unis, celle des dettes publiques de la Grèce et d’autres pays du sud de l’Europe, les ajustements structurels passés et la crise de surendettement du microcrédit ont amplement illustré comment la logique de la concurrence et de la propriété privée conduit à l’enrichissement de quelques-uns et à l’appauvrissement du plus grand nombre. Il faut considérer que cet appauvrissement n’est pas seulement absolu, mais aussi subjectif, en raison de l’explosion des besoins. Or ces crises ne sont pas dues à un mauvais fonctionnement du Marché. Au contraire, elles résultent d’un fonctionnement implacable de la logique de concurrence et de la propriété privée, qui sont devenues des principes hégémoniques dans le fonctionnement des économies et plus généralement des sociétés.

Vous parlez d’un « marché libérateur ». Qu’entendez-vous par là ? Et où le trouver ?

Le collectif réuni ici défend l’idée que le potentiel émancipateur du Marché ne peut se réaliser aujourd’hui qu’en s’articulant avec d’autres principes économiques comme la réciprocité, la recherche d’autosuffisance et la redistribution, et en se fondant sur la construction de communs. Il s’agit donc d’une économie avec marchés, distincte tout autant d’une économie sans marché que d’une société de marché. Dans le secteur du microcrédit par exemple, contre la dérive marchande, il s’agit de promouvoir des modes de gestion durable des ressources financières grâce à des modalités de remboursement justes et réalistes pour les emprunteurs, ce qui suppose de revoir le partage dans la chaîne des valeurs ajoutées entre bailleurs, intermédiaires au niveau des institutions de microfinance et emprunteurs finaux. Cette transformation ne peut résulter de la seule action des forces du marché – dont les limites ont été éprouvées dans l’accroissement des inégalités et dans le surendettement qui a suivi –, ni de celle de l’Etat, fondée sur le prélèvement et la redistribution de ressources. Les études réunies dans ce livre, qui portent sur le microcrédit, les monnaies locales, l’économie solidaire et le bilan de pays connaissant actuellement une transition vers la généralisation de la propriété privée et de la concurrence, pointent le rôle essentiel de la société civile dans la construction de communs et la pratique d’une économie plurielle, avec marchés, pour limiter les inégalités et permettre le développement de la démocratie.

Ce livre contient également les contributions de chercheurs au Collège de France, au Conservatoire national des arts et métiers, au CNRS, à l’IRD, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et à l’Université de Genève : Daniel Roche, Jean-Louis Laville, Hadrien Saiag, Isabelle Guérin, Solène Morvant-Roux, Eveline Baumann, Blandine Destremau et Thierry Pairault.

Référence complète : Hillenkamp, Isabelle, et Servet, Jean-Michel (éd.). 2015. Le Marché autrement : marchés réels et marché fantasmé. Coll. Bibliothèque de l’économiste, no 8. Paris : Classiques Garnier. 302 p.