Au cœur de la pratique juridique, en raison de la généralité des règles de droit, le phénomène de répétabilité est aussi présent dans l’œuvre des juges qui ne sont pas autorisés à édicter des règles spécifiques pour chaque cas particulier, mais qui doivent appliquer des règles générales censées couvrir de tels cas. Qu’en est-il du droit international? interroge Fuad Zarbiyev, professeur assistant de droit international à l’Institut, pour ouvrir son article intitulé «Le mimétisme jurisprudentiel en droit international». Rencontre avec l’auteur d’une réflexion qui questionne le discours juridique, le rôle de sa représentation et, surtout, son utilisation dans un monde constitué désormais de multiples fora («des tribunaux éparpillés») où la circulation du discours juridictionnel répond à de nouveaux besoins.
Pourquoi cet intérêt pour la circulation du discours du juge à l’échelle internationale?
Le droit international présente un certain nombre de traits qui en font un système juridique de prime abord mal disposé envers la circulation du discours du juge. Il est par exemple bien connu que l’ordre juridique international ne connaît pas un système judiciaire hiérarchisé, dans le cadre duquel il est relativement facile de savoir comment le discours judiciaire circule d’une enceinte vers une autre. On fait aussi souvent remarquer au sujet du droit international que les situations individuelles y sont plus nombreuses que les situations qui se prêtent à des généralisations rationnelles. Mais on constate paradoxalement que le discours du juge circule dans l’ordre juridique international aussi. Mon intérêt dans cet article est de fournir une analyse préliminaire de ce phénomène et d’en identifier les raisons et caractéristiques majeures.
L’idée selon laquelle la circulation de la jurisprudence en droit international varie au gré de l’évolution du paysage juridictionnel international semble être une idée forte de cet article.
Dans un système où il n’existe qu’un seul tribunal, il est évident que la question de la circulation du discours du juge ne se pose pas, sauf si l’on se limite à des hypothèses de références faites par un tel tribunal à sa propre jurisprudence antérieure. Jusqu’à il y a quelques décennies, le droit international n’était pas loin de cette situation dans la mesure où la Cour internationale de Justice était la seule instance juridictionnelle permanente dotée de la compétence de statuer sur des questions de droit international. Puisque cette situation a changé, la circulation de la jurisprudence d’une enceinte juridictionnelle vers une autre présente une actualité en droit international.
De votre point de vue, quel est la principale originalité de votre article?
Le principal apport de mon étude se situe dans les explications qu’elle fournit pour comprendre le «pourquoi» de la circulation de la jurisprudence en droit international et les tendances qu’elle identifie quant à la façon dont la jurisprudence circule dans l’ordre juridique international. Il existe des études qui traitent du rôle joué par la jurisprudence de tel ou tel organe particulier dans la pratique d’un tel autre, mais, à ma connaissance, aucun effort n’était fait jusqu’ici pour examiner le phénomène général et identifier des «régularités».
Pouvez-vous donner des exemples concrets pris dans l’actualité qui illustrent vos conclusions?
Un exemple particulièrement frappant est fourni par la tendance récente de la Cour internationale de Justice à s’appuyer sur les décisions des organes de contrôle mis en place par des traités des droits de l’homme, tant sur le plan universel que sur les plans régionaux. Cet exemple est intéressant car jusqu’à encore très récemment, la Cour internationale de Justice nous avait habitués à une indifférence suprême qu’elle affichait envers la jurisprudence d’autres organes internationaux. Il montre que la Cour internationale n’échappe pas à l’attrait que l’expertise spécialisée exerce dans le monde d’aujourd’hui.
Avez-vous d’autres chantiers de recherche en cours?
Je travaille actuellement sur le concept d’autorité tel qu’il est utilisé dans la philosophie politique et son application au «droit de dire le droit (international)», pour utiliser une formule connue de Pierre Bourdieu. D’autres projets sur lesquels je travaille incluent la transformation de la fonction judiciaire en droit international et le rôle du dialogue et des interactions dans le façonnement du droit international.
Référence complète de l’article: Zarbiyev, Fuad. «Le mimétisme jurisprudentiel en droit international». In Mimesis – La formation du droit international: entre mimétisme et dissémination, sous la drection de Vincent Négri et Isabelle Schulte-Tenckhoff, 59-71. Paris: Éditions A. Pedone, 2016.