La protection des ressources en eau douce est actuellement (et depuis déjà de nombreuses années) l’une des principales questions de l’agenda environnemental international. Cela s’explique aisément. L’eau est nécessaire à la vie et n’a pas (contrairement à d’autres ressources, tel le pétrole) de substitut connu. Par ailleurs, avec la croissance démographique considérable prévue pour les prochaines décennies, la demande en eau ne cessera d’augmenter, alors que les sources disponibles sont distribuées inégalement parmi les Etats et les populations. Il convient de rappeler, aussi, que l’eau douce ne représente qu’une partie infime (2,5%) de toute l’eau de la planète, et qu’elle est très largement «bloquée» sous forme de glaces polaires difficilement exploitables (1,7%). Cela ne laisse, pour satisfaire les besoins croissants en eau, que les fleuves, les lacs et, surtout, les eaux souterraines ou, en d’autres termes, des ressources souvent situées dans le territoire de plusieurs Etats à la fois.
Au vu de ces constats, on pourrait s’attendre que les Etats aient développé un régime international poussé pour protéger cette ressource vitale. Le droit international ne dit pourtant pas grand-chose sur la protection des ressources d’eau douce. Les efforts entrepris dans le cadre de la Commission de droit international des Nations unies ont, certes, abouti à des textes portant, respectivement, sur l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation ainsi que sur les aquifères transfrontières. Mais ces textes ne vont pas au-delà de l’énonciation de quelques principes généraux, d’application concrète difficile et, en toute hypothèse, ils ne font pas encore partie du droit international en vigueur. Plus encourageant, les efforts accomplis dans le cadre de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe, à savoir la Convention d’Helsinki de 1992 et son Protocole de 1999 sur l’eau et la santé sont, eux, juridiquement contraignants, mais uniquement dans un cadre régional. Pour le reste, les questions relatives à la protection des ressources en eau sont réglées au cas par cas, par des traités bilatéraux ou multilatéraux portant sur tel ou tel corps d’eau ou alors, indirectement, par l’affirmation d’un droit individuel à l’eau aux contours imprécis et aux effets pratiques encore très limités.
Ce panorama, lacunaire et quelque peu décourageant, omet cependant l’apport potentiel d’un texte ancien et, à bien des égards, incompris: la Convention de Ramsar sur les zones humides d’importance internationale. Cette Convention, conclue en 1971, vise à protéger des «zones humides», un concept défini de manière large et couvrant «des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée». L’approche suivie, à savoir la nomination par les Etats des sites protégés et leur inclusion dans des listes internationales, est similaire dans l’ensemble à celle d’une autre Convention, d’un an sa cadette mais beaucoup plus connue: la Convention de l’Unesco sur le patrimoine mondial naturel et culturel. Perçue dès l’origine comme un instrument protégeant l’habitat de certains oiseaux aquatiques, la Convention de Ramsar pourrait connaître un potentiel à d’autres égards, potentiel qui est resté dans l’ombre pendant les 40 ans de son existence. Or, cela est en train de changer. Les zones humides protégées par cette Convention ne sont pas seulement utiles à la conservation de certains oiseaux; elles sont aussi une pièce maîtresse du cycle hydrologique, opérant à la manière d’infrastructures naturelles qui régulent la quantité et la qualité des eaux des fleuves, lacs et certains aquifères. Au fur et à mesure que le regard s’aiguise et que la poussière accumulée pendant quatre décennies d’une compréhension partielle et limitée est balayée, la Convention de Ramsar dévoile un visage nouveau, celui du seul traité mondial sur l’eau actuellement en vigueur. Grâce aux efforts du Secrétariat international de cette Convention, basé à Genève, le potentiel considérable d’un texte sous-estimé est en train d’être mieux compris et, peut-être, dans le futur, mieux réalisé. Je voudrais, à cet égard, suggérer quelques pistes à explorer dans la réalisation de ce potentiel.
Le premier élément consisterait, naturellement, à un changement de la manière dont la Convention de Ramsar est perçue sur le plan international. De tels changements de perception sont souvent difficiles, mais la situation actuelle se prête bien à une telle initiative, dans la mesure où la Convention fête cette année son 40e anniversaire. Par ailleurs, en juin 2012 se tiendra le Sommet mondial de Rio sur le développement durable, lequel offre une occasion idéale pour reconnaître le potentiel de cette Convention. Le deuxième élément est, en quelque sorte, un prolongement du premier. Il s’agit de décloisonner institutionnellement la Convention afin de créer des liens avec les régimes établis par d’autres conventions environnementales. La protection de certaines zones humides est importante non seulement pour la conservation de la biodiversité, mais aussi pour l’approvisionnement en eau ainsi que pour d’autres questions fondamentales, telles que la sécurité alimentaire, la planification urbaine et même la lutte contre le changement climatique (notamment dans le domaine de l’adaptation à ses effets). Cela suggère autant de synergies potentielles avec d’autres régimes environnementaux qui pourraient être concrétisées par des partenariats. La troisième piste s’inscrit dans les objectifs du Sommet de Rio, mentionné auparavant, à savoir le passage vers une «économie verte» et le renforcement institutionnel de la gouvernance environnementale. Il s’agirait de rechercher des synergies avec les nombreuses entreprises dont les activités dépendent de (et/ou ont des effets sur) la quantité et la qualité des ressources en eau douce. La protection des zones humides qui régulent ces ressources serait dès lors reconnue aussi bien comme un impératif écologique et social que comme un besoin économique concret. Enfin, l’intégration du secteur privé à la protection et à la mise en valeur de ces infrastructures naturelles que sont les zones humides devrait aussi permettre aux Etats de faire face à ce démon qui hante si souvent la protection de l’environnement, l’indisponibilité des ressources financières et technologiques suffisantes.
Voilà donc quatre pistes qui pourraient contribuer à renforcer la gouvernance internationale des questions relatives à l’eau. En guise de conclusion, je voudrais souligner un point plus général, dont les considérations précédentes ne sont qu’une illustration. Il est hautement louable de consacrer des énergies à créer de nouvelles structures internationales pour protéger l’environnement. Mais tout autant d’énergies devraient aussi être utilisées à mettre à profit ce qui est déjà là. La Convention de Ramsar en offre un bon exemple.
Cet article est paru dans Le Temps du 4 octobre 2011
Jorge Viñuales enseigne à l’Institut depuis 2009. Il est professeur assistant en droit international et, depuis le mois de septembre 2009, le premier titulaire de la Chaire Pictet en droit international de l’environnement. Il est également directeur du Programme sur le développement durable au Centre for International Environmental Studies récemment créé par l’Institut et dirigé par le professeur Timothy Swanson. Le professeur Viñuales est, entre autres, spécialiste du droit de l’environnement, du changement climatique et des désastres naturels, de l’énergie, des ressources naturelles et du développement durable.