A l’heure où les relations entre société civile et autoritarisme sont au cœur des débats dans le monde arabe, la publication «Société civile» et autoritarisme en Syrie de Claudie Fioroni, dans la collection eCahiers de l’Institut, offre à la fois une excellente synthèse théorique de ces questions, tout en révélant les résultats d’une enquête de terrain de plusieurs mois. Sur le plan scientifique, son analyse nous permet de mieux comprendre les événements en Syrie en présentant une recherche très documentée sur un aspect crucial de la politique du régime al-Assad. Toutefois, cette analyse va au-delà du cas syrien, en démontant les impasses de l’autoritarisme, largement remis en question dans cette région par le «printemps arabe».
Les mouvements protestataires en Syrie sont comparables à ceux de ses voisins. Certains, comme en Tunisie et en Egypte, ont connu le succès puisqu’ils ont conduit au départ des dictatures en place. D’autres, comme en Syrie, essuient le feu de la répression. Les sociétés égyptienne et syrienne sont comparables à certains égards : leurs populations sont variées et jeunes. Les mouvements protestataires sont caractérisés par l’absence de leaders affichés, par une forte présence d’activistes des droits humains et de jeunes blogueurs qui, dans le cas syrien, se sont exilés, ont été emprisonnés, voire tués. Leurs revendications sont également semblables : plus de participation politique et de démocratie, moins de corruption et des améliorations socio-économiques. Ces maux sociaux sont caractéristiques de ces régimes autoritaires. Leurs dirigeants ont, quant à eux, tous la même lecture : ils dénoncent les infiltrations étrangères, responsables, à leurs yeux, du chaos dans leurs pays.
Pourtant, si l’Egypte a négocié un changement, la Syrie se démarque dans la répression. L’Egypte a été un tremblement de terre géopolitique au niveau régional et international. La révolution égyptienne a perturbé les rapports de force et les positions des chancelleries occidentales et israélienne. Personne ne veut d’un second tremblement de terre que provoquerait la chute de Bachar al-Assad. Le régime syrien profite maintenant du précédent égyptien, notamment en laissant pour la première fois se dérouler des manifestations anti-israéliennes dans le Golan.
Une autre spécificité de la Syrie est que le « lionceau » de Damas a donné des signes apparents d’ouverture. Avant les révoltes, la lenteur des changements était mise sur le compte de la vieille garde d’Hafez al-Assad, père du président actuel, qui aurait freiné les réformes. Or, les événements montrent que le régime autoritaire a été maintenu, voire renforcé par le fils, sous des effets de maquillage démocratique.
Le travail de Claudie Fioroni démasque ces mécanismes autoritaires. Sa recherche porte en effet sur une des plus importantes organisations non gouvernementales du pays, la Syria Trust for Development. Cette ONG, dirigée par la première dame de Syrie, est tout à fait typique des stratégies de la nouvelle génération d’autocrates, qui utilise les signes de la libéralisation politique pour renforcer son pouvoir, notamment en inscrivant son action dans les discours des bailleurs de fonds internationaux en faveur de la société civile. Ce n’est pas cette société civile des ONG qui est descendue dans les rues, mais la vraie opposition, politiquement muselée et réprimée depuis des années. Ce ne sont pas non plus des islamistes radicaux qui sont à la tête des cortèges ; ils ont été largement discrédités par les mouvements protestataires qui ont montré qu’ils pouvaient faire tomber des autocrates sans user d’armes, mais par leurs attentes démocratiques.
Riccardo Bocco, professeur en sociologie politique
Diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) de Strasbourg, Claudie Fioroni est titulaire d'un Master en études du développement de l’Institut. Son travail de mémoire consacré à la société civile et les évolutions du régime politique en Syrie a reçu le prix du meilleur mémoire de Master 2010 de l’Institut. Elle a également remporté en 2009 le « prix EADI » (European Association of Development Research and Training Institutes) pour un article consacré à la cohérence de la politique migratoire européenne. Elle a co-publié, avec Gérard Perroulaz et Gilles Carbonnier, un article sur les « Evolutions et enjeux de la coopération internationale au développement » dans la Revue internationale de politique de développement parue en 2010. Depuis juillet 2010, Claudie Fioroni effectue une mission auprès de l’Agence Française de Développement (AFD) pour le cadrage stratégique des activités dans les Territoires palestiniens.
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