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01 November 2011

Sommet de la zone euro

Pour le prof. Richard Baldwin, le plan anticrise finira par provoquer une récession.


Banque centrale européenne

A court terme, le plan anti-crise de la zone euro est une bonne nouvelle. Il a désamorcé la «bombe» – une spirale catastrophique de faillites bancaires et de défaut de paiement des pays souverains. Les marchés ont bien accueilli les mesures annoncées. La mauvaise nouvelle est que le plan anti-crise provoquera une récession. En tentant de se conformer aux exigences de ratios de fonds propres, les banques vont créer une contraction massive du crédit, tandis que l’accent mis à nouveau sur les mesures d’austérité sera à l’origine de resserrements budgétaires importants. La récession qui en découlera affaiblira les banques, les pays souverains et la Grèce. Un autre sommet de crise sera à nouveau nécessaire au printemps 2012.

Pratiquement aucune décision prise au dernier sommet de la zone euro n’a été une surprise. Les économistes savent depuis des mois que six points doivent trouver une réponse pour transformer la zone euro en une entreprise durable.

Trois mesures devaient être adoptées d’urgence pour désamorcer ce qui peut être qualifié de «bombe» – la possibilité d’une explosion catastrophique des banques européennes et des marchés obligataires.

Ces trois mesures sont:

• stabiliser la Grèce;
• garantir les banques;
• garantir les pays souverains.

Le plan anti-crise adopté tôt jeudi dernier comprend ces mesures. Les dirigeants de la zone euro sont finalement parvenus à désamorcer la «bombe». Sans cette menace, l’avenir paraît soudain plus radieux; les marchés ont réagi avec enthousiasme.

Comment désamorcer une «bombe» avec un plan anti-crise dont les détails sont inconnus?

Malgré la succession de réunions, les détails essentiels concernant ces trois points ne sont pas encore connus – et doivent être finalisés dans les semaines qui viennent. Malgré cette incertitude, le plan anti-crise a désamorcé la «bombe», de la manière suivante:

La Grèce: le seul paramètre incontournable du plan était de restructurer la dette grecque de façon à la rendre viable d’ici à la fin de la décennie. Cette décision permet à la Grèce de voir la lumière au bout du tunnel et atténue la probabilité d’un chaos politique et d’un défaut de paiement désordonné de la dette.

Les banques: les détails essentiels concernant la recapitalisation des banques n’ont pas encore été explicités, mais pour le moment ce n’est pas grave. Les faillites bancaires auraient été le vecteur de la transformation de tout choc éventuel en une catastrophe économique. Le plan adopté jeudi matin nous dit que les dirigeants de la zone euro sont à leurs «postes de combat» en ce qui concerne les banques. Ce plan nous laisse penser qu’ils sont prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une contagion du problème des dettes souveraines aux banques, même si le plan en question est insuffisant.

Les dettes souveraines: dans ce cas, le plan anti-crise est totalement insuffisant, que ce soit en termes de détails ou en termes d’ambition – mais cela ne fait rien. Compte tenu de son peu de moyens, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), (renforcé ou non par un effet de levier) n’aurait jamais pu être plus qu’une couverture politique pour les actions futures de la Banque centrale européenne (BCE). C’est la BCE qui a racheté un volume important d’obligations d’Etats en difficulté de la zone euro début août. Il faut s’attendre à ce que la BCE bloque tout risque de contagion, due à la crainte, des dettes souveraines, pour les mêmes raisons et de la même manière, dans les mois à venir.

Une victoire à la Pyrrhus?

Tout n’est pourtant pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. La pensée à court terme l’a une fois de plus emporté. Les problèmes sont les suivants:

Consolider les banques était le facteur clé pour désamorcer la «bombe» et les décideurs politiques ont décidé de le faire en relevant les exigences de fonds propres «durs». Une recapitalisation obligatoire de toutes les banques européennes – la solution sensée et à long terme – a été exclue par l’Allemagne pour des raisons de politique intérieure. L’option par défaut (soit des plans nationaux) a été adoptée à la place. Mais cette solution est confrontée à des obstacles diaboliques. Les banques qui ont le besoin le plus pressant de capitaux:

• ne peuvent pas se financer sur les marchés
• sont situées dans des pays qui ne peuvent pas emprunter pour les recapitaliser (ou pour garantir leurs dettes)
• dans des cas exceptionnels, il doit être possible de faire appel au FESF, mais à des conditions détestables pour les banques et les gouvernements concernés.

Cette impasse politique a été résolue en permettant tacitement aux banques de se désendetter pour augmenter leur ratio de fonds propres. Les dirigeants de la zone euro ont bien chargé les législateurs nationaux d’empêcher ce processus, mais ce n’est ni pratique ni politiquement crédible. Le quatrième pilier non dit du plan anti-crise est le renforcement des mesures d’austérité. Les Etats membres de la zone euro devront réduire leurs dépenses et/ou augmenter les impôts.

La récession va nous ramener à la même crise

Tous les problèmes interconnectés de la zone euro – des banques affaiblies, des pays souverains endettés et une Grèce désespérée – pourraient être résolus par quelques semestres de croissance soutenue. Mais dans le même ordre d’idées et à l’inverse, une récession réduira à néant les progrès compris dans le plan anti-crise d’octobre. Une récession:

• aggravera la position budgétaire des gouvernements de la zone euro, dont l’endettement paraîtra plus risqué;
• aggravera les bilans des banques, augmentant les risques qu’elles présentent;
• rendra plus sombre l’avenir de la Grèce, rendant plus probable le défaut de paiement désordonné.

Au-delà des mesures pare-feu

Les mesures urgentes décidées tôt le matin du 27 octobre 2011 ne résolvent en rien les défauts sous-jacents de la zone euro. Les trois étapes supplémentaires nécessaires pour établir solidement la zone euro sont:

• une réglementation et un régime de résolution des institutions financières de l’ensemble de la zone euro. Comme les banques européennes prêtent largement à leurs gouvernements respectifs, le système actuel par lequel les gouvernements nationaux sont la garantie de derniers recours des banques est instable de manière inhérente (comme l’ont démontré l’Islande et l’Irlande). Avant l’introduction de l’euro, les banques centrales étaient avant tout concernées par les intérêts nationaux et leurs bilans sans limite imposée étaient le garant de dernier recours et non la capacité des gouvernements à emprunter.
• Une garantie de la dette souveraine de tous les pays de la zone euro (par l’entremise de la BCE ou de fonds émetteurs d’euro-obligations). Les Etats membres de la zone euro (comme les pays d’Amérique latine dans les années 1980) contractent une dette dans une monnaie qu’ils ne sont pas en mesure d’imprimer. Le défaut de paiement est donc toujours possible. La panique des marchés au sujet d’un éventuel défaut de paiement pousse les taux d’intérêt à la hausse, une évolution qui rend plus probable un défaut de paiement, ce qui alimente à son tour la panique. Avant l’introduction de l’euro, les pays européens pouvaient se sortir de n’importe quelle difficulté en imprimant de la monnaie, transformant le risque d’un défaut de paiement en risque d’inflation. De manière fondamentale, le risque d’inflation ne comporte pas le facteur de crainte, de ligne rouge à ne pas franchir, qui peut transformer une appréhension en panique lorsque les investisseurs pensent que rien ne va plus. En faisant disparaître cette échappatoire, l’introduction de l’euro a rendu inhérente l’instabilité du système.

Le Pacte de stabilité et de croissance devait être l’instrument de remplacement, mais la France et l’Allemagne ont détruit la crédibilité du pacte en mars 2005. Jusqu’à présent, la volonté de la BCE d’étendre son mandat a constitué la mesure provisoire de remplacement, sans être une solution permanente. Tant qu’un instrument fiable n’est pas trouvé, la zone euro restera vulnérable à des cycles, annoncés et qui ne manquent de se produire, de crainte et de hausses des taux d’intérêt des emprunts.

• Un plan pour l’ensemble de la zone euro pour préserver la compétitivité de chaque Etat membre.

En fin de compte, la croissance est le principal facteur de la confiance, mais l’euro a emprisonné certains pays dans une camisole de force de prix et de salaires peu compétitifs. Rétablir la croissance implique que les marchés et les salaires soient plus réactifs aux conditions macroéconomiques.

Conclusions

L’issue du sommet de la zone euro est une bonne nouvelle à court terme – elle a désamorcé la «bombe» qui menaçait l’Europe d’une catastrophe économique suffisante pour marquer une génération. C’est la raison pour laquelle les marchés l’ont accueillie favorablement. Mais la solution ne repose que sur une optique à court terme. Deux éléments du plan anti-crise rendent une récession beaucoup plus probable:

• la nature volontaire, ad hoc, de la recapitalisation des banques, qui les incitera à mettre en œuvre une contraction massive du crédit;
• l’accent mis à nouveau sur les mesures d’austérité nationales, qui se traduiront par des resserrements budgétaires de tous les pays de la zone euro.

Toutes ces évolutions interviendront dans une période de six à neuf mois, quelle que soit la détérioration des perspectives macroéconomiques. La zone euro se dirige vers une récession. Cette récession réduira à néant le plan anti-crise d’octobre 2011 – affaiblissant les banques, les pays souverains et la Grèce. Il faut s’attendre à un nouveau sommet de crise de la zone euro au printemps 2012.

Cet article a été publié dans Le Temps du 1er novembre 2011.
Traduction: Julia Gallin

Pour consulter la version complète en anglais.

Richard Baldwin est professeur d’économie internationale à l’Institut et co-directeur du Centre for Trade and Economic Integration. Il est également fondateur et rédacteur en chef de VoxEU.org, directeur politique du Centre for Economic Policy Research, et un membre élu du Council of the European Economic Association. Ses domaines d'expertise portent en particulier sur l'intégration européenne, la croissance, le commerce.

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