Si l’on demandait à un analyste de politique internationale quel serait le scénario le plus propice à une intervention militaire ciblée d’Israël contre l’Iran, il répondrait le dernier semestre de la présidence américaine. L’influence exercée par la communauté juive sur les élections présidentielles aux Etats-Unis a pour conséquence que toute démarche défavorable à Israël constitue un véritable risque politique pour n’importe quel candidat à l’élection, y compris le président en fin de mandat qui souhaite être réélu.
Israël le sait bien. La récente déclaration faite par le premier ministre Netanyahou à la télévision israélienne, selon laquelle Israël ne prévoit pas d’intervention militaire contre les installations nucléaires iraniennes «dans les jours ou dans les semaines qui viennent», n’est guère rassurante. D’autant plus que dans le même entretien Netanyahou a déclaré qu’Israël ne pourrait plus attendre longtemps avant que les sanctions et la diplomatie ne parviennent à contraindre l’Iran à renoncer à son projet nucléaire. De fait, les sanctions internationales édictées par les Nations unies et par l’Union européenne ne semblent pas avoir encore eu l’effet escompté. Les propos belliqueux du président iranien Ahmadinejad à l’encontre d’Israël et du monde occidental, ainsi que les ambiguïtés relatives au caractère pacifique ou non du programme nucléaire iranien, rendent l’escalade du conflit une hypothèse tout à fait vraisemblable.
Dans ces circonstances, il est important de se demander si une telle intervention israélienne contre l’Iran serait licite du point de vue du droit international. La Charte des Nations unies interdit l’emploi unilatéral de la force de la part des Etats. Les seules exceptions sont l’autorisation du Conseil de sécurité et la légitime défense. Force est de constater qu’une autorisation du Conseil de sécurité à l’emploi de la force contre l’Iran ne saurait être envisageable à l’heure actuelle compte tenu de l’opposition de la Russie et de la Chine qui disposent d’un droit de veto. La seule justification possible demeure la légitime défense qui est définie par l’article 51 de la Charte des Nations unies comme le droit naturel de chaque Etat de réagir par l’emploi de la force lorsqu’il a été victime d’une agression armée.
Très probablement, la justification juridique qu’Israël donnerait à une intervention militaire ciblée contre les sites nucléaires iraniens serait de dire qu’il s’agit d’un acte de légitime défense «préventive». C’est précisément autour de cette notion de légitime défense préventive que la pratique internationale récente s’est avérée particulièrement controversée.
Par exemple, l’intervention en Irak en 2003 fut justifiée par les Etats-Unis sur cette base juridique, l’argument étant que l’Irak, en disposant d’armes de destruction massive, représentait une menace pour la sécurité des Etats-Unis et du monde entier. Le lecteur se souviendra certainement des images télévisées du secrétaire d’Etat américain de l’époque, Colin Powell, qui montrait au Conseil de sécurité les images satellitaires censées fournir la preuve ultime de l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Les photos se sont révélées par la suite un faux fabriqué par les services secrets américains. L’intervention américaine a été considérée comme illicite par la plupart des Etats. Outre l’incertitude quant à l’existence même d’armes de destruction massive, que les inspecteurs de l’ONU devaient encore vérifier, il n’y avait aucun élément concret pour penser que l’Irak était en train d’attaquer qui que ce soit.
Les Etats n’ont que rarement invoqué la légitime défense préventive dans les relations internationales. L’autre précédent pertinent est le raid aérien mené en 1981 par Israël contre le réacteur nucléaire irakien d’Osirak. L’analogie avec la situation actuelle est frappante. Israël craignait que l’Irak ne développe des armes nucléaires et intervint par le biais d’une attaque aérienne ciblée afin de détruire l’installation soupçonnée d’être développée à des fins militaires. L’attaque fut condamnée par le Conseil de sécurité et par l’Assemblée générale des Nations unies.
S’il est vrai que ni la lettre de l’article 51 de la Charte (qui requiert une agression préalable) ni la pratique des Etats sont favorables à la légitime défense préventive, il n’en demeure pas moins que plusieurs Etats occidentaux après le 11-Septembre se sont montrés relativement ouverts à une interprétation extensive de la notion de légitime défense qui s’étendrait jusqu’à inclure l’imminence, dûment prouvée, d’une agression armée.
En l’absence de preuves solides qu’une attaque armée de l’Iran contre Israël soit imminente, une intervention militaire israélienne contre les installations nucléaires iraniennes serait donc illicite au regard du droit international. Certes, cette considération ne sera pas le seul élément dont le gouvernement israélien tiendra compte afin de décider de mener ou non l’attaque. Les Etats ont néanmoins tendance à ne pas sous-estimer les coûts politiques associés à la violation du droit international.
Il ne reste qu’à espérer que la rhétorique va-t-en-guerre de part et d’autre soit inversement proportionnelle à la volonté d’entreprendre des actions qui pourraient entraîner des conséquences néfastes pour la région et pour le monde entier. Malheureusement, la poudrière du Moyen-Orient possède trop de matériel hautement inflammable. Tôt ou tard quelqu’un sera tenté d’allumer la mèche de l’emploi de la force. Quand cela arrivera, mieux vaudra se mettre à l’abri, car la déflagration sera violente.
Cet article par Andrea Bianchi a été publié dans Le Temps du 20 mars 2012.
Le Professeur Andrea Bianchi est professeur à l'Institut depuis 2002. Il a été professeur à l'Université Catholique de Milan; professeur associé à l'Université de Parme et professeur assistant à l'Université de Sienne. Ses publications traitent des domaines relatifs aux droits de l'homme, au droit économique international, au droit de la juridiction et des immunités de juridiction, ainsi qu'au droit international de l'environnement, de la responsabilité de l'Etat et au droit des traités. Il a notamment publié : « International Humanitarian Law and Terrorism » Oxford University Press, 2011 (avec Yasmin Naqvi).