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29 June 2015

Grèce: la Banque centrale détient la clef

En soutenant les banques grecques, la BCE évite le «Grexit», explique Charles Wyplosz, professeur d'economie internationale.

Ça y est, nous allons assister au «Grexit»?

Pas encore. Tout repose sur la Banque centrale européenne (BCE), c’est elle qui détient la clé. Tant qu’elle soutient la Grèce en alimentant ses banques [ce qu’elle a décidé de continuer à faire dimanche, ndlr], cette dernière n’a pas besoin de sortir de la zone euro. L’institution fait son travail de prêteur en dernier ressort en fournissant de la liquidité aux banques. Car l’argent fuit les banques. Elle peut décider d’arrêter. La question qui se pose désormais est la suivante: que va-t-elle faire dans les semaines qui viennent? Se comporter comme la banque centrale de la Grèce ou débrancher le courant? Dans le deuxième cas, la Grèce sera obligée de quitter la zone euro.

C’est une décision politique…

wyplosz-1.jpgCharles Wyplosz, professeur d'economie internationale

– Oui, et c’est toute la beauté de l’exercice. Cette décision cruciale retombe sur les genoux des banquiers centraux. Mais c’était prévisible depuis des semaines. Ils pourraient se tourner vers les gouvernements pour leur demander un signal. En même temps, ils sont indépendants, et ils n’ont donc pas à demander une autorisation. Tout cela découle de ces négociations et de l’attitude de certains banquiers centraux, dont les Allemands. Il n’y a pas de bonne issue.

Que va-t-il se passer maintenant?

– Des problèmes techniques se posent. Athènes devrait limiter les retraits et contrôler les sorties de capitaux [ndlr: ce qu’elle a fait dimanche soir] s’il ne veut pas que son système bancaire s’effondre. Ils sont en pleine panique bancaire, je ne sais pas ce qu’ils attendent pour réagir et l’annoncer. Il n’est cependant pas impossible qu’ils aient besoin du soutien ou de l’autorisation de la BCE pour le faire. Mais il faut faire vite et cela leur permettrait de réduire leur dépendance à la BCE.

A quel moment pourra-t-on parler de «Grexit»?

– Pour l’instant, la Grèce n’a aucun intérêt à sortir de la zone euro puisque la BCE alimente son système financier. Cette dernière doit prendre une décision historique, or ce n’est pas à des bureaucrates de le faire.

– D’ici à mardi, la Grèce doit procéder à des remboursements, qu’arrivera-t-il si elle ne le fait pas?

– Si la Grèce ne rembourse pas, elle commencera une série de défauts. Mais il n’y a pas de lien entre cela et un éventuel retrait de la zone euro. En fait, la Grèce doit emprunter pour rembourser, mais comme elle a atteint un surplus budgétaire primaire (hors intérêt de la dette), elle n’a pas besoin d’emprunter pour fonctionner, elle est autonome. C’est là l’extrême perversité des négociations en cours depuis avril. Le seul hic, c’est que les Grecs angoissent de voir leur argent bloqué ou converti en drachmes et ils le retirent des banques, d’où la dépendance à la BCE.

– Il n’y a donc plus aucune chance d’arriver à un accord avant la fin du mois?

– Puisqu’on n’a pas voulu faire une remise de dette, les Grecs risquent de le faire eux-mêmes en faisant défaut. A supposer que la BCE continue à fournir de la liquidité, ils ont même tout intérêt à le faire. Et, dans un an, après une suite de non-remboursements, les Européens viendront supplier les Grecs de discuter de la dette. Là, ils ont bien joué. L’échéance du 30 juin va passer. Le FMI ne recevra rien. Il aura trente jours pour constater les arriérés de paiement, puis lancer une procédure pour suspendre la Grèce du FMI. C’est tout. Entre-temps, les Grecs diront non au référendum. La BCE devra aussi prendre une décision. Mais tout cela est un grand cirque politique. Economiquement, un défaut, c’est anodin.

Cet entretien a été publié dans Le Temps du 29 juin 2015.