GREXIT. La sortie de la monnaie unique est imminente après le défaut de paiement de mardi soir. Tour d’horizon des différents scénarios possibles.
Quel système monétaire pourrait être mis en place en Grèce si elle sortait de la zone euro? Alors qu’elle est devenue le premier pays industrialisé à faire un défaut de paiement au Fonds monétaire international lundi soir, sa notation a encore été revue à la baisse par les principales agences de notation. Reléguée à CC par Fitch hier, cette note signifie qu’elle n’est qu’à une encablure du défaut de paiement général...
La sortie de l’euro semble se rapprocher en conséquence. Concrètement, cette sortie ne se fera pas sur une grande déclaration politique mais plutôt presque « par accident », technique et monétaire...
Quelques scénarios possibles sur l’après Grexit avec Cédric Tille, professeur d’économie internationale et ancien économiste au département de recherche internationale de la Réserve fédérale de New York.
Concrètement, comment sort-on de l’euro? S’agit-il d’une décision de la BCE? De l’UE ou de la Grèce?
Il n’y aura pas de grande annonce publique, du moins il ne s’agit pas d’une décision politique, de la part du gouvernement grec ou de l’Union Européenne. Cette sortie de l’euro, qui me semble assez inévitable, se fera simplement par un manque de liquidités et une sorte d’accident technique, car il n’y a rien de prévu dans les textes en cas de sortie d’un pays de la zone euro... Normalement, la Banque centrale européenne fournit des liquidités aux pays de la zone euro, pour autant qu’il y ait un collatéral de bonne qualité. Ceci est stipulé dans ses statuts et elle doit respecter l’esprit de la loi en tant qu’autorité indépendante. Du coup, si les conditions ne sont pas ou plus respectées, elle doit arrêter de fournir les banques du pays en liquidités. Ce n’est pas le rôle de la BCE de sauver à tout prix un Etat. Elle ne peut pas directement souscrire d’émissions de dette publique des Etats et ce n’est pas son rôle de les financer... La sortie de l’euro devrait donc être «accidentelle», par manque de liquidités, plutôt qu’une décision politique réfléchie et calculée.
A quoi pourrait ressembler le système monétaire grec J+1 après le Grexit?
Dans l’état actuel des choses, la Grèce ne peut pas «abandonner l’euro» du jour au lendemain. Déjà parce qu’il y en a évidemment encore beaucoup en circulation, mais aussi parce qu’il n’est évidemment pas gratuit de créer une monnaie en partant de zéro... On peut aussi difficilement supprimer une monnaie simplement en le décrétant, surtout si la monnaie est utilisée par des pays voisins et/ou dans des échanges internationaux. Dans une telle configuration, l’Etat peut au mieux imposer une nouvelle monnaie pour les relations économiques dont il est partie, comme le paiement des fonctionnaires, les impôts, etc. Il introduit alors la nouvelle monnaie petit à petit, par exemple en payant une partie des salaires avec elle.
On s’achemine donc plutôt vers une double circulation?
Oui je pense. Il y a de toutes façons passablement d’euros en cash qui circulent en Grèce, on ne pourra pas empêcher que l’économie privée continue de l’utiliser, au moins à moyen terme. Plusieurs pays de l’est utilisaient aussi le Deutsche Mark à une certaine époque, en plus de leur monnaie nationale.
Faudra-t-il imposer totalement une nouvelle monnaie?
Les deux monnaies peuvent cohabiter, même si l’une prendra toujours l’ascendant sur l’autre en fonction du type d’échanges. A court terme, on ne peut de toute façon pas remplacer tous les bancomats du pays avec une nouvelle monnaie, ce qui serait trop long et trop couteux. L’Etat peut déjà décider, comme cela s’est vu dans d’autres pays, de payer ses salariés et fournisseurs avec de petites obligations au porteur, qui sont finalement l’équivalent d’un billet. Tout cela en laissant toujours circuler l’euro, même si officiellement cela ne sera plus la monnaie officielle.
Ne peut-on pas penser qu’il y a un trop grand déficit de confiance et que l’euro, voire le dollar, vont s’imposer dans échanges privés?
Cela dépendra surtout du comportement, des statuts et de la gouvernance de la banque centrale grecque. Si la banque centrale qui gère cette nouvelle monnaie est véritablement indépendante, avec un mandat de stabilité des prix comparable aux standards des grandes banques centrales actuelle, la nouvelle monnaie pourrait être un succès. En revanche si la banque centrale ne s’avère finalement qu’un relais politique destiné à faire «marcher la planche à billets», le public ne lui ferait pas confiance.
Comment savoir si la banque centrale grecque sera véritablement indépendante?
On le voit à sa politique dans la durée et à ses statuts. Mais ce statut reste contestable car il est attribué par une loi du pays. Et toute loi peut être modifiée par un gouvernement. Après tout la configuration est la même en zone euro, où les états pourraient théoriquement abroger l’indépendance de la BCE, même s’il est extrêmement improbable que ceci se produise un jour.
Y’a-t-il d’autres exemples le systèmes monétaires dont la Grèce pourrait s’inspirer?
Chaque situation est différente mais certains pays, comme l’Equateur, ont décidé d’utiliser le dollar par exemple. Le gouvernement constatant année après année que cette monnaie prenait une place majoritaire dans les échanges, ils ont décidé de simplement utiliser la devise américaine. Mais pour faire une telle opération il est nécessaire qu’il y ait déjà une grande partie de la monnaie à laquelle ont souhaite s’arrimer qui soit déjà en circulation, on ne peut pas décréter cela «ex nihilo».
La Grèce pourrait-elle arrimer sa nouvelle monnaie à l’euro?
Oui c’est une possibilité. La Bosnie-Herzégovine par exemple le fait actuellement avec l’euro par le bias d’un « currency board », dans l’idée de rejoindre la zone euro à long terme. De nombreux pays arriment aussi leur monnaie avec le dollar. Cela pourrait être une piste pour la Grèce, mais elle se retrouverait alors dans une situation pire qu’aujourd’hui, avec les contraintes d’un lien à l’euro sans voix au chapitre à la Banque centrale européenne. Quand un pays s’arrime au dollar ou à l’euro, la Fed ou la BCE ne vont pas faire leur politique en fonction de ce pays. Il incombe au seul pays qui s’arrime de «tenir» le taux de change.
Cet entretien, réalisé par Marjorie Théry, a été publié dans l'AGEFI, quotidien de l'agence économique et financière à Genève, le 2 juillet 2015.