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Globe, the Geneva Graduate Institute Review
21 November 2023

L’Afrique dans le monde : une approche dialectique nécessaire

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Dêlidji Eric Degila, professeur de pratique, relations internationales, partage sa vision du rôle de l’Afrique dans le monde.

Alors qu’on célèbre avec enthousiasme le soixantième anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité africaine – aujourd’hui Union africaine – en psalmodiant un discours optimiste sur l’Afrique émergente, il convient de porter un regard distancié sur la place qu’occupe ce continent longtemps perçu comme l’angle mort du système international. Pour ce faire, répondre à l’appel du philosophe ghanéen Kwasi Wiredu en initiant une « décolonisation conceptuelle » permet de se libérer des schèmes de pensée mainstream pour se tourner vers un universel pluriel propice à une juste appréciation de la contribution de l’Afrique au système-monde.

Si les pères fondateurs de l’organisation régionale ont consacré en mai 1963 à Addis-Abeba l’État moderne africain sous une forme westphalienne à travers la consécration du principe juridique d’uti possidetis juris, il convient de s’interroger sur la pertinence de ce modèle d’organisation politique qui n’a pas toujours favorisé sur le continent l’enracinement d’un sentiment d’appartenance à une nation. Ceci s’explique sans doute par une configuration où se juxtaposent des communautés identitaires transnationales aux allégeances multiples. Par exemple dans la corne d’Afrique, il n’est pas surprenant que les Somalis soient disséminés entre l’Éthiopie, Djibouti, le Kenya, le Yémen et la Somalie, sans oublier le quasi-État du Somaliland. De ce point de vue, l’Afrique présente un intérêt heuristique pour les relations internationales en ce sens qu’elle engage à appréhender avec nuance le signifiant de l’État.

Souvent dépeints à l’aune de la métaphore du lointain « autre » ou comme archétypes d’un néopatrimonialisme endémique entretenu par des élites prédatrices, les États africains ont pourtant réussi à mieux s’insérer dans un système international en pleine mutation au sein duquel ils tentent de contribuer à la fabrique d’une gouvernance globale plus juste, que ce soit en matière de changement climatique, de migration, de santé , ou de promotion de la paix. En outre, ils constituent des terrains privilégiés pour étudier les changements structurels à l’œuvre au sein de nos morphologies sociales marquées par une tentation grandissante de repli.

En ces temps d’incertitude, l’Afrique peut être source d’inspiration pour construire un autre ordre mondial. De même que le projet panafricain a pour pierre angulaire la doctrine solidariste « ensemble nous sommes plus forts », la philosophie Ubuntu – « je suis parce que nous sommes » – offre une perspective différente d’un cogito ergo sum consacrant la primauté du « je » et qui mérite d’être prise en compte. Ainsi, une meilleure inclusion des contributions et spécificités de l’Afrique peut permettre d’opérer un décentrement sur la manière dont nous appréhendons le monde. Comme le souligne l’écrivain nigérian Chinua Achebe, l’Afrique n’est pas simplement un espace géographique exotique, elle représente « une certaine vision du monde » perçue à partir d’une position particulière. Dès lors, une approche dialectique qui valorise les vision et contribution d’une Afrique plurielle à la fabrique de notre futur pluriversel est plus que jamais nécessaire.

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