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28 October 2013

Le «leadership naturel» des Etats-Unis en sera ébranlé

Le professeur des relations internationales/sciences politiques, David Sylvan, est interviewé par le quotidien suisse Le Temps.

Le Temps: Etes-vous étonné par cette avalanche de révélations, la dernière étant que l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) a pu écouter jusqu’à 35 dirigeants?

David Sylvan: On savait depuis longtemps que la NSA surveillait toute sorte de conversations, dans tout type de pays, de milliers de personnes, y compris des leaders de la planète. Ils le savaient, bien sûr, comme ils savaient que les services secrets partageaient des informations entre eux. Ils se pensaient toutefois eux-mêmes à l’abri, protégés par une sorte de gentleman’s agreement. Mais il y a beaucoup d’hypocrisie dans cette affaire; il s’agit aussi, pour ces dirigeants, de convaincre leurs concitoyens qu’ils ne sont pas impliqués dans ces pratiques.

– Que vous inspire la réaction des Européens? Ils maugréent sans exiger d’excuses.

– Elle est révélatrice: ils se sont abstenus d’employer le mot «souveraineté» ou de parler de représailles. Ils enverront leurs chefs des services secrets à Washington pour négocier certaines règles. En réalité, ils sont piégés: leurs pays sont impliqués et collaborent avec les Etats-Unis. Le plus intéressant est que cette affaire aura contribué à faire beaucoup de dégâts pour les Etats-Unis à long terme. Un des «secrets» de leur pouvoir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est celui d’une domination basée sur l’accord tacite du reste du monde. Si les leaders sont un peu choqués, l’effet est encore plus important chez les citoyens de nombreux pays, qui réalisent à quel point les Etats-Unis ont surréagi au 11-Septembre.

– Que penser de la stratégie des Etats-Unis face à ces révélations?

– Dans un premier temps, ils ont été très étonnés de la réaction des Européens. Ils pensaient que c’était un secret de polichinelle et que, passé l’hypocrisie, tout serait vite résolu. Ils commencent à réaliser maintenant que cela pourrait avoir des conséquences, notamment dans le secteur de l’Internet, nuisibles à l’expansion de grandes sociétés américaines.

– La Maison-Blanche pourrait-elle mieux gérer cette affaire?

– Elle a été déboussolée. Personnellement, le président Barack Obama s’est toujours méfié de la NSA, tout en y recourant énormément. Tous les présidents sans exception depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ont utilisé les services secrets de cette façon-là, avec le soutien constant du Congrès et des deux partis. Cela commence à se fissurer. A la fin de l’été, un amendement qui visait à limiter considérablement le budget de la NSA a failli être adopté.

Car les élus sont dorénavant partagés: la nouvelle génération est suspicieuse quant aux pratiques que ses aînés jugeaient nécessaires pour la sécurité nationale. Il y a quelques semaines, cela aurait été impensable et cela explique pourquoi la Maison-Blanche a tant de difficultés. Elle découvre que les lignes qu’elle avait tracées n’étaient pas exactement partagées par ses partenaires, et que les conséquences économiques risquent d’être considérables.

– Ces révélations affecteront-elles les relations transatlantiques?

– Européens et Américains ont toutes les raisons de bricoler un compromis ces prochains mois, qui sauve la face de tous. Mais à long terme, le leadership naturel des Etats-Unis, tel que conçu par les Européens, en sera ébranlé.
 

Propos recueillis par Angélique Mounier-Kuhn.

Cet entretien a été publié dans Le Temps du 26 octobre  2013. Il représente l'opinion de l'auteur.