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01 October 2013

L'Etat en Afrique : Une quête du Graal ?

Global South Scholar-in-Residence au Programme for the Study of International Governance de l'Institut, Dêlidji Éric Degila examine ci-dessous le rôle de l'état en Afrique dans le dernier numéro de Globe, la revue de l'Institut.

Après plus d’un demi-siècle d’indépendance, on peut constater que la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne se sont construits à partir d’un mécanisme de transposition du modèle étatique westphalien. Au cours des cinquante dernières années, la question de la nature de l’Etat africain a été l’objet de nombreuses études en sciences sociales. Elle a particulièrement donné lieu à un vif débat durant la décennie qui a suivi la fin de la bipolarité. Certains auteurs ont par exemple mis l’accent sur le caractère acculturatif du paradigme stato-national en Afrique, où l’Etat serait une construction importée. Dans cette perspective, les difficultés que connaissent les pays africains seraient liées à une déconnexion entre leur appareil étatique, d’origine occidentale, et les formes d’organisation politique endogènes qui leur sont propres. D’autres auteurs ont estimé que l’Afrique a réussi à inventer son propre modèle étatique par hybridation, en se fondant sur ses structures endogènes qu’elle a réussi à mixer de manière originale avec les institutions d’origine coloniale.

En s’inscrivant dans une approche wébérienne, il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’existence de véritables Etats africains, eu égard à la récurrence des conflits armés sur le continent. Cette situation est révélatrice de l’incapacité de nombreux pays africains de conserver le monopole de la violence physique légitime. La crise politico-militaire qui déchire le Mali depuis mars 2012 en est une parfaite illustration. Au fond, le problème de l’Etat en Afrique ne se situe pas au niveau de ses deux premières composantes – population et territoire – mais plutôt au niveau de sa troisième composante, à savoir le pouvoir politique.

Un des traits marquants de l’Etat africain est la prééminence de conflits de normes au niveau de l’appareil étatique, entre logiques personnelles et règles institutionnelles. Cette réalité est largement saisie par le concept de néopatrimonialisme, qui est un idéaltype conçu à partir du modèle étatique wébérien pour rendre compte de la personnalisation du pouvoir politique et de la confusion entre sphère publique et sphère privée. Un tel environnement institutionnel, caractéristique de plusieurs pays africains, se traduit par des pratiques clientélistes dont la finalité est le maintien du régime en place et l’affirmation de l’autorité de son leader. Jean-François Médard distingue à cet effet deux types d’Etat néopatrimonial africain : d’une part, les Etats néopatrimoniaux caractérisés par une régulation politique fondée sur la redistribution, comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire de l’indépendance jusqu’à la fin des années 1980 ; d’autre part, les Etats véritablement prédateurs à l’image du régime de Mobutu au Zaïre qui a capté pendant plusieurs décennies, pour son seul profit, l’essentiel des richesses nationales. Cette réalité paradigmatique de l’Etat africain que constitue le patrimonialisme pose le problème de la légitimité du pouvoir politique sur le continent, puisqu’elle a pour corollaire le népotisme, la corruption et l’autoritarisme. Même si les logiques patrimoniales ne s’observent pas uniquement en Afrique, elles nourrissent fortement le débat sur la nature des entités politiques du continent4. Il n’est pas surprenant que Pierre Englebert ait conclu vers la fin du siècle dernier, non sans un certain fatalisme, que l’Etat africain n’était « ni africain, ni un Etat ».

Il nous faut cependant prendre la juste mesure de l’expérience africaine en matière de construction étatique. En premier lieu, il convient de souligner que la plupart des Etats africains sont de « jeunes » entités politiques. Les balbutiements qu’ils ont connus jusqu’à la fin du XXe siècle correspondent au fond à la première grande phase d’un long processus « prémoderne », dont la guerre constitue une phase structurelle.

Au terme de la première décennie de ce millénaire, plusieurs éléments portent à croire que l’histoire suit son cours, en dépit de multiples obstacles. En effet, la forte implication de nombreux Etats africains dans la gouvernance mondiale, notamment sur les questions commerciales, environnementales ou de sécurité, constitue un indice probant quant à l’affirmation de leur souveraineté. L’Etat se définit et se redéfinit sur la scène internationale au travers de l’action de ses agents, par exemple l’appareil diplomatique, et le rôle actif qu’ont joué les Etats africains ces dernières années au sein des forums mondiaux (mobilisation des pays africains à l’OMC sur la question du coton par exemple) constitue une réelle avancée dans leur processus de construction. Le chemin qui reste à parcourir est long, les défis sont énormes (légitimation du pouvoir politique, mise en oeuvre de politiques de développement en adéquation avec les besoins et réalités endogènes), mais la mécanique est en marche.

Le processus de construction de l’Etat africain n’est donc pas une quête du Graal, il faut juste laisser le temps faire son oeuvre.

Cet article a été publié dans Le Temps du 24 septembre 2013.

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