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02 September 2021

Rien dans le droit international n’empêche la reconnaissance du gouvernement des talibans

Professeur de droit international, Marcelo Kohen estime que le contrôle de presque tout
le territoire afghan est un facteur déterminant. Mais cela donne aussi aux nouveaux maîtres du
pays des obligations. A la communauté internationale de ne pas relâcher la pression.

Après le départ chaotique des derniers soldats américains de Kaboul, les talibans doivent former un nouveau gouvernement. La communauté internationale s’interroge sur les relations à nouer avec les anciens insurgés qui contrôlent désormais presque tout l’Afghanistan et sur l’opportunité de reconnaître le nouveau régime. Que dit le droit international à ce sujet? 

Le Temps: Comment qualifierez-vous la prise de pouvoir des talibans au regard du droit international?

Marcelo Kohen: Ce n’est pas la première fois qu’une faction arrive au pouvoir après une guerre civile, un coup d’Etat ou une révolution. Historiquement, selon le droit international, le facteur décisif est de déterminer qui contrôle effectivement un pays. Mais la pratique a un peu évolué. Par exemple, les pays du continent américain imposent depuis le début des années 1990 l’obligation de non-reconnaissance des gouvernements issus de processus contraires à la Constitution des Etats.

A cette époque, de nombreux pays latino-américains avaient retrouvé la démocratie après des années de dictature. C’était un moyen d’éviter un retour en arrière. Les gouvernements issus de coups d’Etat sont ainsi automatiquement suspendus de l’Organisation des Etats américains. Mais il s’agit d’une disposition propre aux Amériques. Car il n’existe aujourd’hui aucune règle de droit international dans ce sens qui s’applique dans le monde entier.

Le Conseil de sécurité de l’ONU réagit rarement contre un coup d’Etat. L’une des exceptions s’est produite en 1994 quand il a réinstallé le président haïtien Jean-Bertrand Aristide sous l’impulsion des Etats-Unis confrontés à une vague d’immigration des habitants de l’île. Depuis, il y a eu de nombreuses accessions au pouvoir par la force dans le monde sans que cela contrarie la reconnaissance internationale des nouveaux gouvernements.

Le vice-président afghan Amrullah Saleh se considère désormais comme le président légitime de l’Afghanistan et s’est réfugié dans la vallée du Panchir avec d’autres résistants aux talibans. De quelle légitimité selon le droit international peut-il se prévaloir?
Son problème est l’absence de contrôle de la plupart de l’Afghanistan, qui est entre les mains des talibans. Par le passé, la situation était inversée. Le vice-président peut prétendre être l’autorité légitime et rechercher des reconnaissances internationales, comme beaucoup de gouvernements déchus l’ont fait dans d’autres circonstances. Mais le droit international ne peut venir à son aide.

Le droit international ne choisit pas les gouvernements, c’est une question interne aux Etats. Rien dans le droit international n’empêche la reconnaissance du gouvernement des talibans. A moins que le Conseil de sécurité, considérant la prise du pouvoir par les talibans comme une menace contre la paix et la sécurité internationales, impose une obligation de non-reconnaissance.

Mais aucun des membres permanents, pour des raisons différentes, ne semble prêt à suivre cette voie.

Le fait que les talibans soient toujours classés comme un groupe terroriste empêche-t-il toute reconnaissance?
Ces classifications sont essentiellement le fait de pays individuels ou d’organisations régionales. La décision de reconnaissance formelle des talibans en tant que nouveau gouvernement afghan est de nature politique.

L’ancien président américain Donald Trump avait conclu un accord de paix avec eux, tout en évitant soigneusement de les reconnaître comme une autorité légitime. Il ne s’agit que des gesticulations qui visaient à masquer l’échec de l’intervention militaire en Afghanistan. Les Etats-Unis et leurs alliés ne sont parvenus ni à venir à bout des talibans, ni à mettre fin au terrorisme.

Après l’Irak et la Libye, c’est une preuve supplémentaire qu’on ne peut régler les problèmes avec des interventions armées.

Quel rôle jouera la reconnaissance des autres pays de la communauté internationale pour le nouveau régime des talibans?
En réalité, les gouvernements sont déjà en train de négocier avec le régime taliban, même si certains disent que cela n’implique pas une reconnaissance. C’est une posture politique.

Comme les talibans affirment être le gouvernement de l’Afghanistan, ils sont donc désormais soumis aux obligations internationales incombant à tous les Etats du monde. Cela inclut le respect des droits humains, l’interdiction du recours à la force et le renoncement au terrorisme et à son soutien. Ces actions les engagent maintenant sur le plan international en tant que gouvernement qui contrôle l’Afghanistan. Voilà le point sur lequel il faut insister face au nouveau régime.

La reconnaissance des talibans suppose-t-elle qu’ils s’engagent sur un socle de principes fondamentaux minimaux, par exemple le droit des femmes, le renoncement au terrorisme ou à l’hébergement de certains réseaux ou groupes terroristes?
Ces droits et obligations existent en droit international pour tous les Etats, indépendamment de la reconnaissance de leur gouvernement. A partir du moment où les talibans s’affirment comme le gouvernement de l’Afghanistan, tout comportement contraire à ces droits et obligations constitue un fait internationalement illicite. La communauté internationale peut ainsi réagir et les talibans s’exposent à des sanctions, par exemple, décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Cet entretien, réalisé par Simon Petite a été publié dans Le Temps du 2 septembre.