A l’occasion de la sortie du livre de Mamadou Hébié Souveraineté territoriale par traité : Une étude des accords entre puissances coloniales et entités politiques locales, ci-après un extrait de la préface de Marcelo G. Kohen :
Nous sommes bel et bien devant l’une des contributions majeures à l’étude de l’établissement de la souveraineté territoriale et à l’histoire du droit international. Il s’agit de l’ouvrage de référence en la matière. M. Hébié s’est fixé comme objectif d’éclaircir l’état du droit positif quant à la portée des accords conclus par les puissances coloniales et les entités locales aux époques de l’extension de la souveraineté européenne outre-mer. Il a largement atteint son but. En sus de la monumentale recherche de sources primaires et de la doctrine des époques examinées, ce que l’auteur fit dans leur langue originale, on trouve dans cet ouvrage un dépouillement rigoureux et détaillé de la jurisprudence qui s’est penchée sur la question, ainsi que des écrits et plaidoiries des parties ayant discuté des situations concrètes relatives à l’objet de la thèse.
L’ouvrage est divisé en trois parties. La première partie a trait à la personnalité juridique des entités locales dans la période allant du XVe au début du XIXe siècle. La deuxième partie est consacrée à l’Afrique au XIXe siècle. La troisième partie expose le régime juridique applicable aux accords conclus sous les deux angles juridiques pertinents : le droit des traités et les modes d’établissement de la souveraineté territoriale. Cette construction apparaît justifiée, compte tenu de l’évolution du droit international et de la pratique durant les périodes distinguées. La présentation est soignée. La bibliographie, bien structurée, reflète l’immense travail accompli. Les chercheurs qui poursuivront la réflexion dans le domaine sauront gré à M. Hébié d’avoir mis à leur disposition une telle référence bibliographique et documentaire.
L’auteur a fait une analyse exhaustive de la pratique et de la doctrine du XVe au XIXe siècle. Il ne s’est contenté ni d’une lecture isolée et décontextualisée des instruments pertinents, ni d’une lecture de la doctrine qui donnerait pour acquis ce que les auteurs expriment. M. Hébié place les textes dans le contexte de la pratique concrète.
Plutôt que de s’adonner à un discours idéologique ou d’essayer d’inventer un système juridique qui n’a jamais existé, l’auteur part d’une réalité concrète : le fait colonial s’est imposé, c’est le droit essentiellement sécrété par les puissances coloniales qui est devenu le droit international. Ceci est un constat – même banal – et non un jugement de valeur. Dans la thèse de M. Hébié, il n’y a pas une validation juridique quelconque du phénomène colonial. La question n’est pas de savoir s’il aurait mieux valu que le colonialisme n’existe pas ou si le droit international aurait pu se construire autrement. Or, tout en étant une étude du droit positif, cette thèse n’est nullement neutre au point de vue du jugement de valeur du comportement des deux groupes de sujets qui s’affrontent tout au long du texte. Par ailleurs, une prétendue neutralité ne saurait l’être que de façade dans ce domaine comme dans bien d’autres. Par contre, il prend les puissances coloniales au mot. En démontrant de manière stricte que les puissances coloniales reconnaissaient une personnalité juridique aux entités locales, qu’elles ne s’attribuaient pas un droit absolu d’occupation ni même de conquête (c’est-à-dire, sans tenir compte des exigences du droit positif en vue de leur accomplissement), qu’elles se considéraient elles-mêmes comme détentrices d’un titre dérivé lorsque l’entité locale transférait par accord la souveraineté ou d’autres titres territoriaux ou que la puissance coloniale l’acquérait par voie de conquête, l’ouvrage de M. Hébié ouvre la voie pour pouvoir sortir du slogan anticolonial facile soutenu par aucune démonstration. En effet, comment pourrait-on parler de mauvaise foi des puissances coloniales, de non-respect de l’engagement pris, voire même de la nullité ou de l’extinction des accords passés, sans préalablement avoir démontré qu’il s’agissait d’accords régis par le droit international ?
M. Hébié n’ignore nullement les méfaits du colonialisme ou que les conséquences de ce phénomène de domination persistent encore aujourd’hui dans des continents comme le sien. Il laisse au lecteur le soin de tirer sa propre conclusion à cet égard. Conclusion qui, avec la démonstration de M. Hébié, ne peut que tomber comme un fruit mûr. Je suis particulièrement heureux qu’il ait su cadrer sa réflexion là où le besoin se faisait sentir, rétablissant, avec une rigueur et une honnêteté intellectuelles dignes d’éloge, une vérité historique qui avait été escamotée. La science en la matière – au sens poppérien du terme – est désormais constituée par l’ouvrage de Mamadou Hébié.
Lire également
- le compte rendu d’Olivier Corten, pour qui «cet ouvrage, loin de se contenter de donner des informations ou de livrer une thèse “clé-sur-porte”, suscite constamment la réflexion sur des questions fondamentales tenant au statut du droit international et de son histoire» (Revue belge de droit international, no 1, 2016);
- le compte rendu en anglais de Michel Erpelding, qui n’espère rien de moins que «an English translation will make [Mamadou Hébié’s book] available to a larger readership» (Journal of the History of International Law, vol. 18, no 4, 2016, pp. 469-479).
Référence de l’ouvrage
- Hébié, Mamadou. Souveraineté territoriale par traité: une étude des accords entre puissances coloniales et entités politiques locales. Collection International | Droit. Genève: Graduate Institute Publications. Paris: Presses Universitaires de France. 2015. 736 p.