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07 May 2015

Transitions démocratiques dans le monde arabe : défis et perspectives

Moncef Marzouki, premier président de la Tunisie à être désigné par une Assemblée démocratiquement élue (Assemblée constituante), a donné une conférence sur les défis et les perspectives des transitions démocratiques dans le monde arabe, le 30 avril dernier à l’Institut. Cette conférence était modérée par Riccardo Bocco, professeur de sociologie politique.

L’ancien chef d’État Marzouki relate que, lors de sa prise de fonction en 2011, on lui a proposé de prendre place dans le bureau du président déchu, Ben Ali, dans le palais de Carthage. Devant son refus, on lui alors suggéré de s’installer dans celui du président Bourguiba. Il a accepté car, dit-il, « il valait mieux siéger à la place du vieux lion qu’à celle du maffieux ». Dans l’un des tiroirs du vieux bureau, il trouve un exemplaire poussiéreux de la première Constitution de la Tunisie indépendante, celle de 1959. Après l’avoir lu d’un trait, il en conclut que cette « Constitution est parfaite » et que, n’ayant pas été appliquée, elle aurait mérité d’être envoyée à la « Constituante » pour la remettre à la lumière du jour. Mais il ne s’est pas exécuté afin que « l’Assemblée débatte librement, sans texte ni cadre imposé » au préalable. Cela a permis que toutes les forces politiques et sociales dialoguent à travers leurs organisations respectives pour établir et légitimer une nouvelle loi fondamentale.

Pour l’ancien chef d’État, les régimes autoritaires du monde arabe et leurs sociétés civiles sont pareils à des plaques tectoniques qui s’opposent au point de rentrer en confrontation et de provoquer des séismes politiques.

La corruption endémique des régimes de la région et l’absence de liberté publique ont maintenu sous pression des sociétés civiles qui n’avaient plus d’autres moyens de dialogue avec les régimes en place que celui de l’explosion sociale. Cette explosion sociale est à l’origine des séismes qui ont balayé les ex-présidents Ben Ali (Tunisie), Moubarak (Égypte), Kadhafi (Libye) et Saleh (Yemen). Cela explique que les changements au sein du monde arabe restent chaotiques et violents, « à l’opposé de l’image renvoyée par l’expression  printemps arabes.

C’est pourquoi Moncef Marzouki affirme que le plus grand défi pour les pays de la région consiste à permettre que « les sociétés civiles grandissent ». Selon lui, la consolidation des sociétés civiles est le gage de relations plus harmonieuses avec l’État. C’est par ce moyen que l’ancien président entrevoit, dans le futur, une réduction des tensions avec l’État et la mise en œuvre concrète de transitions démocratiques dans le monde arabe.
Cette « réflexion pour l’avenir » est tirée de son expérience personnelle de militant des droits de l’homme et de militant pour les libertés démocratiques. Il souligne, en effet, qu’en Tunisie les dirigeants autoritaires ont sacrifié les libertés démocratiques et réprimé la société civile au nom du développement. Or, dit-il, cinquante ans après l’indépendance, « on s’est aperçu que l’État ne nous a pas donné la liberté, et pas davantage le développement ».

Ce sont donc les échecs répétés d’une alliance entre l’État tunisien et sa société civile qui lui ont fait prendre conscience, durant ses trois années de mandat, de la nécessité pour l’Assemblée constituante d’aller jusqu’au bout de sa mission et de produire une nouvelle Constitution. 

Le dépassement des oppositions État/société civile doit permettre aux pays de la région de franchir une étape décisive dans le processus de transition démocratique. Ce faisant, les opportunités d’ouverture vers les pays voisins en seront facilitées et permettront, enfin, de surmonter les échecs passés des coopérations régionales.
C’est à ce dessein que l’ancien président veut continuer de se consacrer. C’est pourquoi il œuvre désormais à bâtir une plateforme nationale des organisations de la société civile tunisienne.

Cet article a été écrit par Souhaïl Belhadj, chercheur du Centre on Conflict, Development & Peacebuilding (CCDP) de l'Institut.