L’Institut a enregistré un nombre exceptionnel de candidatures cette année. Quels éléments, selon vous, peuvent expliquer cet engouement accru pour ses programmes ?
Tout d’abord, les réformes entreprises ces dernières années ont renforcé la qualité des programmes d’enseignement proposés et amélioré leur visibilité et leur attractivité. Ces ajustements ont permis d’adapter les formations aux enjeux contemporains ainsi qu’aux attentes des étudiant·es et de leurs futur·es employeur·es. Notre master interdisciplinaire, qui a été réformé en 2020 et qui connaitra prochainement une dernière étape de réforme afin de le rendre encore plus professionnalisant, en est la parfaite illustration. Il accueille cette année 280 nouveaux et nouvelles étudiantes.
Par ailleurs, la pertinence et la qualité de la recherche menée à l’Institut sur des enjeux globaux de plus en plus pressants renforcent son positionnement comme acteur académique de référence.
Enfin, les tensions autour de la science et des universités aux États-Unis ont certainement conduit certain·es étudiant·es à réorienter leur choix vers des institutions offrant un environnement académique stable, inclusif et engagé. L’Institut apparaît ainsi comme une alternative crédible et attractive dans ce paysage en mutation.
Cette hausse des candidatures s’inscrit-elle dans une tendance plus large observée au sein des universités suisses et européennes ?
En effet, la tendance se retrouve dans d’autres institutions européennes et suisses – avec des différences d’amplitude. La Suisse est privilégiée car elle est vue comme un lieu préservé pour la liberté académique (y compris par rapport à l’Europe) mais elle souffre aussi d’obstacles réels liés au franc fort et au coût de la vie élevé devant lesquels certain·es candidat·es hésitent à rejoindre nos universités. Nous avons donc un besoin urgent de trouver de nouveaux financements pour des bourses spécifiquement dédiées aux étudiant·es de certaines parties du monde.
Quels sont, selon vous, les principaux atouts de l’Institut pour les nouvelles générations d’étudiant·es ? Et quels objectifs poursuivez-vous à travers l’évolution des programmes d’enseignement ?
Aimé Césaire disait que pour les civilisations, l’échange est comme l’oxygène : il les empêche de se replier sur elles-mêmes et de se dessécher. L’Institut, à cet égard, est un lieu où l’oxygène circule en abondance – et cette culture de l’échange, des interactions et des flux de diversité (dans le respect des différences) nous définit profondément. Ceci est un atout très fort dans le monde contemporain.
Un autre atout est notre capacité à combiner pensée critique et projection constructive vers les nouvelles solutions, les nouvelles propositions dont notre monde a besoin. L’Institut a toujours su concilier excellence académique et pertinence de l’expertise, analyse et innovation, réflexion et action sur les enjeux globaux.
Enfin, l’Institut permet à nos étudiant·es de développer des compétences qui s’avèrent transversales et utiles dans tous les secteurs, que ce soit les organisations internationales, la diplomatie internationale ou nationale, mais aussi le secteur privé, le secteur de l’expertise et des ONG, et bien sûr le monde académique.
Dans un contexte mondial marqué par de multiples crises, quel rôle l’Institut entend-il jouer sur la scène académique et internationale ?
L’Institut se positionne comme un centre d’analyse qui décrypte les tendances et les évolutions profondes du monde. Nous nous devons en effet d’éclairer les dimensions structurelles qui expliquent les transformations de ces dernières années afin de proposer des clés de lecture permettant d’anticiper les crises actuelles et futures.
Il doit aussi continuer à porter une certaine vision du monde, qui fait partie de son ADN. Créé en 1927 avec pour ambition de contribuer à la stabilité mondiale, il reste animé par les principes énoncés par William Rappard au moment de sa création : « L’Institut contribuera à réduire la méfiance et l’influence des préjugés séculiers, et œuvrera à faire de notre monde un lieu où prévalent davantage de justice, de vérité et de lumière. »
Dans cette période où le monde bascule toujours plus vers la polarisation, la violence et la guerre, il est plus que jamais essentiel pour l’Institut de réaffirmer son engagement en faveur de la paix. Nous devons continuer à affirmer le « plus jamais ça », qui ne peut être envisagé sans une coopération internationale renforcée et la réinvention de l’architecture multilatérale. Cette paix, qui doit rester notre boussole, ne peut se penser aujourd’hui sans justice sociale et durabilité environnementale.
La liberté académique semble de plus en plus menacée dans plusieurs régions du monde, notamment aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump. Quelles réflexions cette situation suscite-t-elle chez vous en tant que directrice d’un Institut engagé dans la défense du savoir et du débat critique ?
Nous nous devons plus que jamais de porter cette flamme – celle de la liberté académique – dans un contexte où elle est fortement attaquée, y compris aujourd’hui aux Etats-Unis. En plus de correspondre à notre identité profonde, c’est aujourd’hui une véritable responsabilité, qui est loin d’être évidente. À d’autres moments de son histoire, par exemple à la fin des années 30, l’Institut a joué ce rôle, et nous devons avoir le courage de continuer de suivre un cap qui est aujourd’hui de plus en plus malmené et contesté. Nous nous devons de parler de tous les sujets pertinents, d’explorer tous les enjeux auxquels notre humanité doit faire face, dans une approche académique libre et responsable, en privilégiant le débat et en affirmant en même temps les valeurs qui nous définissent – le droit plutôt que la force, la collaboration plutôt que le conflit, la paix plutôt que la guerre, la science plutôt que la propagande.